Il y a un marché électoral pour les désabusés du multiculturalisme et les sceptiques de l'immigration. Maxime Bernier a décidé hier que ce marché-là valait la peine de claquer la porte du parti qui l'a mis sur la mappe, au profit d'un parti à naître qu'il veut mettre sur la mappe.

Le Beauceron se dit libertarien, ce qui est une version du libre-marché à ce point pointue que le libertarisme est un peu comme le maoïsme, à gauche : une patente confidentielle à l'os. Anti-subventions, anti-aide de l'État, antiprotectionnisme agricole : disons que les idées économiques de M. Bernier sont solubles dans le Canada moderne.

C'est pourtant sur ces idées économiques qu'il a mené sa campagne au leadership conservateur en 2017. Avec succès : il a récolté près de 29 % des voix au premier tour...

Pour perdre par un poil de vache au 13e tour d'un système de vote byzantin (comme le sont bien souvent les scrutins de courses à la direction) aux mains du chef actuel, Andrew Scheer.

Et l'immigration, la « diversité », qu'il a pourfendue dans une série de messages Twitter qui ont suscité la controverse, ces derniers jours ?

Maxime Bernier n'a pas fait campagne là-dessus, l'an dernier. Son dada, c'était l'économie en général, et l'urgence de mettre un terme au protectionnisme agricole incarné par la gestion de l'offre en particulier. Mais un an plus tard, M. Bernier est le champion des sceptiques de l'immigration et du multiculturalisme « extrême » à la Trudeau. 

À le voir tweeter ces derniers jours, on voyait bien que l'ex-ministre de l'Industrie de Stephen Harper cherchait à se faire expulser de son parti...

Il s'en est expulsé lui-même, hier, affirmant que son parti était une sorte de Parti libéral du Canada moins photogénique (mon expression), qui a trop peur de la gauche et des médias (son expression) pour remettre en question le multiculturalisme canadien.

Ce qui a poussé un député conservateur de la Colombie-Britannique - Todd Doherty - à lui demander sur Twitter pourquoi il n'avait jamais rien dit sur l'immigration dans les réunions de députés conservateurs.

Le député Doherty a conclu son gazouillis par deux émojis, celui d'un poulet et celui d'un tas de merde, ce qui veut dire en anglais chickenshit, ce qui signifie « peureux ».

Quelle époque, quand même : un député fédéral qui utilise des émojis de poulet et de caca...

Que Maxime Bernier choisisse de parler d'immigration, de diversité, de frontières, de réfugiés et de multiculturalisme, c'est un choix parfaitement légitime.

Ces questions-là n'ont pas à être dans le coffre-fort national, intouchables.

Et beaucoup de Canadiens ont des choses à dire là-dessus. Ce ne sont pas tous des racistes, tant s'en faut. Mais aucun parti national n'a vraiment envie de parler sérieusement de ces enjeux. Maxime Bernier a décidé de le faire, dans son nouveau parti.

Pour le politicien Maxime Bernier, inamovible dans sa circonscription, ce choix est sans risques : les gens de Beauce l'adorent, comme en font foi ses majorités de calibre nord-coréen de 2006, 2008, 2011 et 2015. On le sent bien, M. Bernier pourrait se convertir au maoïsme que les Beaucerons voteraient encore pour lui. 

Ils ont toujours voté pour lui, même après des déboires comme la distribution des Jos Louis en Afghanistan ou son expulsion du cabinet Harper après cette cocasse histoire de documents secrets oubliés chez une copine...

Mais pour le tissu social, c'est une autre histoire. Tous les Canadiens qui ont des choses à dire sur les enjeux identitaires ne sont pas des racistes, mais les racistes ont tous des choses à dire là-dessus... Et ceux-là, depuis que M. Bernier est le pourfendeur en chef du multiculturalisme, pensent avoir trouvé leur relais politique au Parlement canadien.

Maxime Bernier va-t-il se distancer d'eux ?

J'espère que oui. Mais j'ai bien peur que non...

Par exemple, dans la journée de lundi, il était clair que Diane Blain, cette femme qui est allée conspuer Justin Trudeau dans une assemblée partisane en Montérégie, est une xénophobe qui fraie avec des groupes xénophobes réactionnaires.

Lundi, on savait. On savait que Mme Blain croque de l'« étrange », qu'importe son statut.

Mais mardi, sur Twitter, Maxime Bernier se servait encore de Mme Blain pour critiquer Justin Trudeau et lui reprocher d'avoir crié sur Mme Blain.

Alors on peut parler d'immigration, on peut parler de diversité, on peut parler de multiculturalisme, je veux bien, ça se fait.

Mais me semble qu'on devrait le faire sans flatter les fachos dans le sens du poil.

Image tirée de Twitter

Deux tweets de Todd Doherty adressés à Maxime Bernier