Samuel Archibald a ouvert une brèche dans un barrage de douleur quand il a dénoncé son assureur Desjardins dans La Presse+, dimanche. Il a libéré une parole.

J'ai chroniqué, le lendemain, sur le bras de fer absurde qu'il mène face à Desjardins, alors qu'il souffre d'une dépression. Un torrent, en réaction : j'ai reçu au bas mot 200 courriels dans les jours qui ont suivi, autant de témoignages qui disaient : moi aussi.

Ils disaient : « Moi aussi, j'ai dû me battre contre mon assureur, Monsieur le chroniqueur » ; ils disaient : « Je me reconnais tellement dans ce que Samuel Archibald a écrit... »

Ils m'ont raconté les prétextes farfelus invoqués par les assureurs pour leur refuser une indemnisation. Ils m'ont raconté les appels incessants de l'assureur sous prétexte de « prendre des nouvelles », une tactique qui ressemble plus à des pièges tendus aux assurés.

Diane C. : « À tous les 15 du mois, je recevais un appel de ma gestionnaire de cas. Elle me demandait quand je revenais travailler, comment j'allais... Je savais que tout ce que je disais pouvait être retenu contre moi, que si je disais que j'allais mieux, on allait me couper... »

Diane C. avait raison d'être parano : ce genre d'appel est conçu, selon les témoignages recueillis, pour utiliser les mots de l'assuré contre... l'assuré.

Eve C., en congé de maladie pour burn-out, l'a vécu à ses dépens : « J'ai fait l'erreur de leur dire que je prenais un nouveau médicament qui me faisait du bien, qui me donnait de l'énergie. La gaffe... »

Gaffe ? L'employée de l'assureur a noté qu'Eve allait « bien ». Or, « bien », ça s'est traduit en « guérie », aux yeux de l'assureur. Tu vas « bien »  ? Tu peux travailler ! Ses prestations ont été coupées. Eve a protesté, pleuré, imploré. Rien à faire.

« Je ne peux pas travailler, je suis même pas capable d'aller prendre une marche.

- La décision a été prise.

- Ai-je des recours ?

- Portez plainte à mon supérieur. »

Net, fret, sec.

« Quand on est dans cet état-là, on n'a pas l'énergie pour se battre. » Ça fait un an. Eve est retournée travailler. De corps, elle est présente au bureau. Seulement de corps.

Transiger avec un assureur peut être un voyage en Absurdistan. Ne riez pas en lisant ce témoignage de Karine O. : « Même hospitalisée, les assurances n'ont pas voulu m'indemniser en prétextant que j'étais tout de même apte à un emploi rémunérateur. Ce à quoi j'ai répondu: "Que voulez-vous que je fasse comme travail à partir d'un lit d'hôpital ? Des appels érotiques ?" Et l'assureur de me répondre : "Ce n'est pas à moi de vous le dire, madame". »

J'écrivais lundi que dans le cas de Samuel Archibald, c'est comme si l'assureur guettait - espérait ! - un prétexte pour nier toute couverture. Les témoignages d'Eve et de Diane en recoupent plein d'autres, sur les prétextes douteux invoqués par des assureurs pour nier une couverture.

Les assurés se font piéger. Mais leurs médecins aussi, comme Pascal L., qui m'a écrit ceci : « J'ai commis l'erreur d'écrire dans le dossier que ma patiente allait mieux quand ses idées suicidaires se sont tassées. Mais ce n'est pas parce qu'on ne pense plus à se jeter en bas d'un pont 24 heures sur 24 qu'on est prêt à travailler 40 heures par semaine... »

Pas grave : l'assureur a cessé les prestations d'invalidité à partir de la date où le médecin a noté ces mots dans le dossier de sa patiente.

« J'ai eu beau leur écrire et leur parler au téléphone pour expliquer qu'à mon avis, cette patiente n'était pas apte à retourner au travail, rien à faire. Ça m'a dégoûté profondément. Ma patiente a finalement dû les poursuivre pour obtenir un règlement à l'amiable... »

Prendre un avocat et poursuivre : tous y ont pensé, quand l'assureur leur a dit que leur couverture était révoquée. Mais souvent, l'énergie n'y est pas.

Brigitte P. travaille en ressources humaines, elle fait de la gestion d'invalidité. Elle a eu ce conseil pour Samuel Archibald : « Qu'il mette un avocat dans le dossier et Desjardins va peut-être tout d'un coup prendre une décision différente. »

C'est ce qui est arrivé dans le dossier de France V. Frappée par une dépression majeure - confirmée par son médecin de famille et un psychiatre payés par l'assurance maladie -, l'assureur lui a refusé une couverture sur la foi d'un diagnostic divergent émis par un psychiatre... payé par l'assureur.

La compagnie d'assurances l'a appelée et lui a donné 24 heures pour accepter l'offre suivante : trois mois de prestations, offre finale, après tu ne nous nous achales plus...

« Je ne pouvais même pas consulter mon médecin ! »

Finalement, une amie avocate de France V. a envoyé une mise en demeure à l'assureur, qui a avalisé l'avis des médecins de la dame : retour progressif. On peut dire qu'elle a « gagné », mais la « victoire » l'a stressée au cube.

Après ma chronique sur Samuel Archibald, quelques Schtroumpfs à lunettes m'ont écrit pour me faire la leçon : « Ah, Monsieur le chroniqueur, les gens doivent lire leur police d'assurance en détail ! » Je dis qu'outre les cas de grossière négligence et de fraude, il y a un bogue majeur dans cette jérémiade : je note que les assureurs ont comme la fâcheuse tendance à interpréter lesdites polices comme ils le veulent...

Prenez le cas de l'ingénieur forestier Ken Dubé.

Devenu malade des suites de harcèlement psychologique, il a vu son assureur lui refuser des indemnités, sous prétexte que l'arrêt de travail n'était pas lié à sa condition médicale, mais à des problèmes dans son milieu de travail. Comme si l'un n'était pas tributaire de l'autre...

Le juge a tranché en faveur de M. Dubé, en novembre dernier, dans une décision qui a renvoyé la compagnie d'assurances à ses devoirs en plus de la condamner à verser 10 000 $ à son assuré : « Son motif de refus, a écrit le juge Patrick Théroux, ne cadre pas avec le critère de l'invalidité que la police l'oblige à couvrir. »

On penserait qu'avec l'expérience - et ses avocats -, l'assureur saurait comment interpréter SES polices d'assurance, non ?

D.H. n'est pas malade. Son conjoint l'est, et il s'est fait refuser une indemnité par l'assureur. Le bras de fer contre deux assureurs (hypothécaire et collectif) a été épuisant et D.H. a vu dans les tactiques subies par son chum « une méthodologie, une approche systémique » du monde de l'assurance.

« Cinq ans que ça dure. Et la lumière, on la voit, le bout du tunnel approche. La chance, elle est venue sous la forme d'un héritage inattendu : ça nous a permis d'engager un avocat compétent et de poursuivre les compagnies pour bris de contrat. »

Un règlement approche, dit-il, et c'est pourquoi D.H. ne me dit pas le nom des compagnies d'assurance impliquées.

Jean T., de Trois-Rivières, garde un mauvais souvenir des demandes de son assureur pour des expertises et des formulaires à faire remplir par des médecins, un job à temps plein. « J'ai dû passer par l'ombudsman de la [compagnie d'assurances] pour rétablir les faits. » Il s'est donc battu, en pleine dépression.

Diane C. a cette formule terrible pour décrire le bras de fer qu'elle a livré à l'assureur, de chèques coupés en appels en invalidité niée en appels répétés de la « gentille » dame de l'assureur : « Faut être aussi performant dans la maladie que dans le travail. »

Ce ne sont que quelques cas que je vous raconte là, il y en a d'autres, plein d'autres. Samuel Archibald est la pointe d'un iceberg de souffrance et d'injustice dont je ne soupçonnais pas l'envergure.