Les États-Unis et la Corée du Nord jouent un poker nucléaire. Le géant turc flirte avec la dictature. La France déjoue un attentat qui allait cibler l'élection présidentielle...

Et nous, au Québec ?

Eh bien nous, au Québec, les parents pourront bientôt faire des travaux dans les écoles de leurs enfants...

On a le « drama » qu'on peut, les amis.

L'histoire commence le 1er mars quand le Journal de Montréal accouche de cette curiosité : la Commission de la construction du Québec (CCQ) venait de mettre à l'amende des parents qui avaient décidé de passer un coup de peinture dans l'école Capitaine-Luc-Fortin de Saint-Sébastien, en Montérégie : les murs de l'école étaient défraîchis. Les parents ont voulu s'impliquer, ils ont sorti les pinceaux, organisé une corvée. Ça part d'un bon sentiment, je ne rirai pas de ça...

Toujours est-il que l'inspectrice de la CCQ est débarquée - l'histoire ne dit pas qui a joué au délateur... - et a lourdement sorti son calepin à tickets...

Bien sûr, l'inspectrice aurait pu simplement avertir les parents de ne pas faire des travaux dits de construction, que c'est interdit de faire des travaux de construction, même bénévolement, dans une école. Mais la civilisation tient au zèle des inspecteurs et inspectrices, comme chacun le sait, et celle de Saint-Sébastien n'a pas failli à sa mission : enweye, les tickets...

Je ne suis pas du bord du zèle de l'inspectrice - désavouée en moins de deux par la CCQ -, mais remarquez, je ne suis pas non plus du bord des parents de l'école Capitaine-Luc-Fortin, parents qui ont obtenu du gouvernement du Québec le droit inaliénable de faire du bénévolat ouvrier dans les écoles du Québec...

Je ne suis pas non plus du bord de la FTQ-Construction, qui a sorti cette métaphore en forme de yéti, une métaphore selon laquelle la mauvaise peinture dans la mauvaise cage d'escalier d'une école pourrait causer des morts en cas d'incendie. Mais bon, toujours se rappeler que les grandes centrales syndicales ne parlent jamais au public en général : elles parlent à leurs membres, en l'occurrence, ici, les syndiqués qui maugréent parce que ces parents leur ont volé - ou pourraient leur voler - de la job...

Je n'ai rien contre le bénévolat. C'est formidable, le bénévolat... Comme activité d'appoint à la vie de l'école. Comme un glaçage sur le gâteau éducatif.

Pas comme gâteau lui-même. Ça, le gâteau, c'est le job de l'État, désolé de casser le party. Le job de l'État, c'est de s'assurer que les foutus murs des écoles sont en bon état.

Le scandale, ici, ce ne sont pas ces parents bafoués dans leur droit inaliénable à faire eux-mêmes ce pour quoi ils paient des taxes scolaires. Le scandale, ici, c'est bien sûr que l'État néglige une de ses obligations minimales, c'est-à-dire bien entretenir ses écoles... 

Mais le scandale qui permet la négligence de l'État, c'est que nous trouvions tous normal que des parents à bout de patience en viennent à manier le pinceau eux-mêmes pour retaper une école...Si c'était un cas isolé, on pourrait rire. Mais le cas de l'école de Saint-Sébastien s'inscrit dans une tendance lourde où on en vient à trouver normal que l'État soit un cancre dans la prestation de services de base.

Tsé, quand vous vous faites dire « allez au privé » pour toutes sortes de services que vos taxes devraient payer - orthopédagogie, résonance magnétique, interventions chirurgicales, etc., etc., etc. - et que vous allez en effet payer au privé parce que a) vous voulez obtenir le service tout court ou b) vous ne voulez pas attendre 18 mois pour l'obtenir ? C'est encore l'État qui ne fait pas son travail. C'est le mur défraîchi de l'école Capitaine-Luc-Fortin.

Quand vous attendez 13 heures (ou 17 ?) aux urgences, quand les écoles de Montréal ont un déficit d'infrastructures de 1 milliard et quand un cône orange s'enracine dans un nid-de-poule qui tarde à être réparé : c'est encore l'État qui ne fait pas son travail. Mais on s'habitue, comme citoyens. Ça, ça me tue : on s'est habitués.

Pour les écoles, je trouve que c'est pire. Parce que c'est formidable que des parents aillent faire de la peinture bénévolement, mais ça s'inscrit dans une tradition de négligence de l'école par l'État, négligence dont on a fini par s'accommoder. 

Les pompiers vendent-ils des barres de chocolat pour acheter des échelles ? Non, et c'est tant mieux. Mais pourquoi des écoles vendent-elles des barres de chocolat pour s'acheter des dictionnaires ?

Pour la même raison que des parents en viennent à repeindre les murs d'une école publique : parce qu'on a accepté l'incompétence de l'État. Autre preuve de notre tolérance pour la médiocrité.

Alors, oui, les parents qui jouent aux peintres bénévoles à l'école du quartier, c'est formidable, ça part du coeur, c'est même une belle activité de jouer aux peintres tout un week-end dans l'école de fiston...

Mais si on veut suppléer l'action de l'État par du bénévolat, il faudrait aussi penser à faire des activités moins rassembleuses, moins radieuses que repeindre l'école du quartier...

Quelqu'un veut laver bénévolement le derrière des vieux du CHSLD du quartier ?

Quelqu'un veut boucher gratuitement des nids-de-poule rue Sherbrooke en fin de semaine (apportez votre pelle) ?

Y a des moufettes mortes à ramasser sur le bord de la 40. Des volontaires ?

Qui est disponible pour être réceptionniste aux urgences du CHUM, ce soir ?

Y a aussi les déchets à ramasser dans ma rue, c'est le vendredi matin, merci beaucoup.

Avant midi, idéalement.