C'est ce qu'on dit à ceux qui souffrent dans leur tête : demandez de l'aide.

Le message pas subliminal du tout est simple : il ne faut pas souffrir en silence et il y a, justement, de l'aide disponible quand le mental se met à tousser ou carrément à surchauffer.

Véronique, justement, a demandé de l'aide.

Ambulance, direction les urgences d'un établissement de la région de Montréal, où elle a été hospitalisée...

C'était l'an dernier.

«L'accueil était bien. J'ai vu un psychiatre dès le lendemain. Pas le temps d'aller très loin, juste en surface. C'est l'urgence. Rencontre avec une travailleuse sociale, on me propose d'aller dans un centre de crise et, ensuite, suivi possible par un psychologue ou un travailleur social, au CLSC...»

Véronique sentait qu'elle avait davantage besoin d'un psychologue que d'un psychiatre. Le psychiatre des urgences et la travailleuse sociale étaient d'accord.

Sauf qu'il n'y a pas de psychologue disponible au centre de crise où elle a été dirigée par l'hôpital. Il y a d'autres intervenants, «des gens bien à l'écoute», mais pas de psychologues.

Véronique tique là-dessus : pas de psychologue au centre de crise.

Même chose au CLSC. Le suivi est fait par une travailleuse sociale et encore là, Véronique la trouve très bien, très à l'écoute. Rien à redire. Mais il n'y a pas de psychologue disponible au CLSC.

Donc, si vous avez bien suivi jusqu'ici, Véronique a demandé de l'aide et elle est prête à recevoir de l'aide. Un psychiatre a jugé qu'elle devrait suivre une thérapie avec un psychologue. Il est prouvé qu'une thérapie aide les gens, souvent en plus de la médication. Mais il n'y a pas de psychologue pour Véronique, ni au centre de crise ni au CLSC.

Le temps passe, le séjour aux urgences commence à être un souvenir de plus en plus lointain, Véronique fait sa dizaine de semaines de consultation avec la travailleuse sociale de son CLSC...

Mais toujours pas de psychologue à l'horizon et encore moins de thérapie.

«Les bobos de surface ont juste eu le temps de guérir à la dernière séance. Ouf, la travailleuse sociale peut l'écrire dans son rapport. Sur papier, je vais bien.» - Véronique

Dans le réel, c'est différent. Véronique souhaite revoir un psychiatre, pour une évaluation : qu'a-t-elle, au juste ? Qu'est-ce qui cloche dans sa tête?

Parce que, je le souligne, elle ne le sait toujours pas. La psyché n'est pas un ménisque, c'est forcément plus complexe de mettre le doigt sur le bobo. Encore faut-il trouver un doigt - celui d'un psychologue - pour l'ausculter, ta foutue psyché...

Mais la travailleuse sociale ne peut pas adresser Véronique à un psychiatre, les demandes de consultation se font par le médecin de famille...

Alors Véronique en est là : à tenter d'obtenir un rendez-vous avec son médecin de famille, pour être assurée qu'il l'envoie consulter un psychiatre.

Pourquoi je vous parle de Véronique?

Parce que la journée Bell cause pour la cause (de la santé mentale) approche à grands pas (25 janvier) et que j'ai fait un appel à témoignages sur ma page Facebook, j'ai demandé à savoir quel est l'angle mort de la discussion sur la santé mentale...

J'ai reçu des dizaines et des dizaines de témoignages, des messages souvent longs et touffus en détails, des cris du coeur étouffés depuis trop longtemps. Je suis sorti de la lecture de ces témoignages : trop bouleversant. Bipolarité, dépression, anxiété, angoisse, personnalités limites, psychose : si tous ceux qui souffrent « en dedans » avaient une cloche dans le cou, on ne s'entendrait plus, dans cette ville...

Véronique a vécu - vit encore - l'inertie ordinaire d'un système à bout de souffle, un système qui va au plus pressé. Son témoignage en recoupe un tas d'autres reçus depuis mardi, ceux d'hommes et de femmes qui ont cherché pour eux ou pour des proches cette fameuse « aide » dont on parle tout le temps. Et qui cherchent encore.

J'ai envoyé le témoignage de Véronique à une intervenante en CLSC, juste pour vérifier si Véronique n'avait pas vécu une aberration du système. Réponse de l'intervenante, qui compose au quotidien avec des personnes comme Véronique : «Son expérience est assez fidèle à celle des gens que je rencontre.»

On me raconte que certains CLSC offrent des thérapies avec psychologues. Sur dix semaines. Après? Après, c'est le néant. Et il y a six mois d'attente.

Pour l'aide psychologique, le plus simple est de payer, d'«aller au privé», selon la formule consacrée en tout. Ça coûte entre 80 $ et 125 $ la séance de 50 minutes. La plupart des plans d'assurance collective ne paient que quelques séances, bien moins que ce qui est requis pour vraiment identifier ses bibittes en thérapie.

Si vous n'en avez pas, d'assurance? Good luck.

Demandez de l'aide, disent-ils, donc...

La réalité est plus compliquée. Anecdote. Ça se passe dans une clinique médicale de Montréal, une femme se présente au comptoir : elle ne file pas, mais vraiment pas. Elle confie que son plan de suicide est prêt, il est même détaillé...

On appelle l'ambulance, bien sûr. Et l'ambulance arrive, prend la femme en charge. Direction, les urgences.

Mais quelques heures plus tard, la femme qui vient de partir en ambulance se pointe de nouveau au comptoir de la clinique!

À l'hôpital, on lui a donné son congé.

La femme veut savoir si son médecin est libre bientôt, pour un suivi...

Vous voyez?

On nous dit de demander de l'aide. Mais même quand on CRIE pour avoir de l'aide, il y a de grandes chances - y a des exceptions - qu'on ne vous en donne pas.