Qu'est-ce que je disais, le 30 septembre dernier, au lendemain du premier débat présidentiel ?

Ceci : « J'espère qu'il ne gagnera pas, mais je crois qu'il va gagner, ne serait-ce que parce que ceux qui tripent sur Trump tripent fort sur lui, plus fort que ceux qui vont voter Clinton.

« J'espère avoir tort.

« Mais le débat de lundi ne me donne pas beaucoup de raisons de penser que je me trompe. »

Et vous aviez été un million à rire de moi, un million à me dire que je ne comprends rien à la politique américaine...

Peut-être que je ne comprends rien à la politique américaine, ça se peut.

Et peut-être que vous, vous ne connaissez rien aux Américains.

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On se réveille en ce 9 novembre 2016 avec un président des États-Unis qui n'a aucune expérience dans ce qu'ils appellent là-bas un « elected office ». Il va donc apprendre ce que c'est que de gouverner à la Maison-Blanche, le doigt sur le bouton rouge.

On se réveille en ce 9 novembre en lendemain de brosse, un peu groggy, en se demandant où diable sont nos lunettes.

Mais on ne peut pas se réveiller surpris, en ce 9 novembre 2016, là, lâchez-moi avec ça...

Parce que « Donald J. Trump, 45th President of the United States », ça n'a jamais été de la science-fiction du moment qu'il est devenu clair qu'il allait être le candidat républicain à la présidence.

Une fois candidat, tout peut arriver. Voir Clinton, 1992. C'est un peu comme les séries éliminatoires de la LNH : une fois que tu en es, tout peut arriver. Voir les gagnants de la Coupe Stanley en 1986 et en 1993. Voir Trump, 2016...

Tous ceux qui « connaissent » la politique américaine ont été catapultés dans un univers parallèle avec ce candidat-ovni qui n'a jamais été - justement - politicien. 

Ils ont décortiqué ce coucou-là avec les grilles d'analyse de la politique traditionnelle. Ce qui est peut-être comme essayer de déboucher la toilette avec son malaxeur.

Les États-Unis forment un pays hyper-diversifié, parfois d'une puissante insularité, souvent férocement conservateur, conservateur d'une façon qu'on peine à imaginer ici, d'une façon qui fait passer Stephen Harper pour un gars de gauche. New York que vous visitez une fois tous les deux ans, ce n'est pas l'Amérique, c'est même un miroir déformant de ce pays.

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Beaucoup d'Américains souffrent. On riait de Trump quand il pourfendait le libre-échange parce que bien sûr, le libre-échange, c'est le progrès, c'est souhaitable, c'est l'avenir et l'avenir est toujours radieux...

Mais on oublie que le libre-échange, s'il est globalement désirable, détruit des jobs et derrière ces jobs, il y a des gens, derrière ces gens, il y a des familles, des quartiers, des villes, des « counties », des États...

Or, qui les écoute, ces gens-là ?

Pas grand-monde, en tout cas pas à Washington. Là-dessus, Sanders et Trump ont raison : personne, ou presque, n'écoute ces oubliés, dans l'establishment. Ceux que les parlementaires écoutent, ce sont ceux qui financent leurs (perpétuelles) campagnes électorales, ceux qui s'achètent (c'est le mot) des lois qui rendent fiscalement avantageuse la délocalisation et possible le tourisme fiscal...

Ce serait réducteur de dire que Trump a gagné uniquement grâce à ces oubliés de la mondialisation. Trump a gagné pour un tas de raisons. Mais les effets de la précarisation de l'emploi, depuis des décennies, sont une de ces raisons.

Quand ton bien-être économique est précaire, c'est plus facile de haïr tout le monde et d'avoir peur de tout. C'est la première fois de mémoire d'homme qu'un candidat à la présidence disait à ces gens que c'est bien, de haïr et qu'ils ont raison, d'avoir peur...

Et tous ceux qui haïssent - les Noirs, les femmes, les handicapés, les libéraux, les taxes, les élites, les musulmans... - ont trouvé en Trump le bully qui, comme eux, haït et écrase ce qu'il haït. 

Une autre des raisons de la victoire de Donald Trump est simple : Hillary Clinton.

Vous me faisiez bien rire, ces six derniers mois, quand vous pensiez qu'une victoire de Mme Clinton était inévitable...

Bien sûr qu'elle est plus intelligente, bien sûr qu'elle a une maîtrise phénoménale des enjeux, bien sûr qu'elle a plus d'expérience en sécurité nationale. Bien sûr qu'elle ferait une meilleure présidente, sur papier...

Encore faut-il la gagner, la présidence. Et peut-être que, tout à votre haine de Trump, vous avez oublié que Mme Clinton a de la misère à gagner, en campagne.

En 2008, elle était largement favorite pour gagner l'investiture démocrate. Et elle s'est fait planter par le « junior senator » de l'Illinois, le quasi-inconnu Barack Obama, qui était encore à l'époque l'homme d'un discours, celui de la convention démocrate de 2004.

En 2016, Hillary Clinton était encore largement favorite pour gagner l'investiture démocrate. Au début, elle avait une avance de quoi, 50 points sur Bernie Sanders ? Ou 60 ? Je ne sais plus. Mais on connaît la suite : Bernie l'a remontée, et ça s'est gagné à l'usure, très, très, très tard dans le match...

Et là, hier, Mme Clinton a perdu contre le plus clown, contre le plus brouillon de tous les candidats à la présidence de l'Histoire moderne.

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La vie est un balancier. Là, le balancier de la vie et de la société américaines revient vers la droite, une droite inconnue même de l'establishment républicain...

Un clown démagogue semi-raciste qui se vante de son ignorance mènera donc le monde libre. Il aura le doigt sur le bouton rouge. J'ai un peu peur. Là-dedans, j'essaie de trouver des raisons de sourire...

Pour ça, je pense à la tête des historiens qui, dans 1000 ans, vont découvrir que l'humanité a été quasiment anéantie par une ancienne star de téléréalité qui a lancé une attaque nucléaire parce que quelque chef d'État a ri de lui dans un tweet...

photo MANDEL NGAN, agence france-presse

Ce serait réducteur de dire que Donald Trump a gagné uniquement grâce aux oubliés de la mondialisation, explique notre chroniqueur.