L'histoire de mes collègues Larouche et Duchaine fait dresser les cheveux sur la tête : un jeune homme soupçonné par la GRC d'avoir voyagé en Syrie pour servir avec une filiale d'Al-Qaïda réussit, une fois revenu au pays, à prendre un selfie avec le premier ministre Justin Trudeau.

S'il avait eu un couteau, s'il avait eu une arme, s'il avait eu une bombe, on peut imaginer que...

On peut imaginer n'importe quel scénario catastrophe, mais le fait est que le jeune homme - qui semble s'être durablement éloigné des idées extrémistes qui l'animaient il y a quelques années, selon les sources de mes collègues - a croisé la route du PM par hasard quand ce dernier était dans un lieu public.

Et que, fan de « Justin », il a fait ce que des milliers de personnes dans le monde ont fait depuis un an : il lui a demandé un selfie.

Qu'importe : la GRC, qui assure la sécurité du PM, on l'espère, prendra quelques notes après avoir lu La Presse, aujourd'hui...

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Mais si l'anecdote de l'égoportrait du PM avec un Canadien qui est peut-être allé combattre en Syrie est la portion la plus spectaculaire de l'enquête de La Presse, elle n'en est pas moins que la partie visible d'un iceberg sécuritaire. La partie invisible, elle, plus costaude, se résume au fond à une question, essentielle...

Comment les sociétés ouvertes doivent-elles gérer les vétérans des fronts syrien et irakien qui reviennent chez eux ?

C'est une question qui se pose ici et qui se pose un peu partout dans le monde. C'est une question complexe qui repose sur peu de données et de recherches, parce que les vétérans de la Syrie et de l'Irak forment un sujet d'étude nouveau. 

Toutes les démocraties jonglent avec ce territoire non balisé de la lutte contre le terrorisme.

L'International Center for Counter-Terrorism, un centre de recherche établi aux Pays-Bas, a publié un rapport sur ces combattants des fronts syrien et irakien qui reviennent en Europe, en avril dernier. L'ICCT estime qu'entre 3922 et 4294 Européens sont allés combattre en Syrie : 30 % d'entre eux sont revenus chez eux. 

Les chercheurs de l'ICCT reconnaissent que ces combattants posent un potentiel de danger « urgent » pour les pays de l'Union européenne.

Avec une nuance : « Tous les combattants étrangers ne sont pas des terroristes. Et tous les terroristes ne sont pas des combattants étrangers. Ainsi, tous les combattants étrangers qui reviennent ne présentent pas systématiquement un danger pour les sociétés qui les accueillent. »

Les chercheurs notent que cela est vrai pour les conflits djihadistes qui ont précédé l'Irak et la Syrie, ainsi que pour les vétérans des premières années du conflit syrien. On ne peut pas extrapoler ces conclusions aux combattants affiliés au groupe État islamique (EI) ni à ceux qui sont partis en 2013 et en 2014, note le rapport de l'ICCT.

Ce qui n'est pas le cas des jeunes Québécois évoqués par l'enquête de La Presse, soupçonnés d'être allés en Syrie dans les premières phases du conflit, pré-EI.

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Alors, comment les sociétés ouvertes doivent-elles gérer les vétérans des fronts syrien et irakien qui reviennent chez eux ?

Le premier réflexe est de les mettre tous en prison, sachant à quel point les combattants affiliés à l'EI sont sanguinaires. Mais tous les combattants de Syrie et d'Irak ne relèvent pas forcément de l'EI. Et la prison, du moins dans plusieurs pays européens, est un foyer de radicalisation. Et il faut des preuves solides que ces citoyens sont en effet allés se battre, là-bas.

La solution aux risques liés au retour des combattants étrangers à risque est probablement dans ce que le rapport de l'ICCT qualifie de « coffre à outils » alliant le travail de sécurité, les lois et la prévention, notamment au niveau municipal.

En cela, le travail du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, mis sur pied à Montréal, fait partie d'un effort occidental pour apprivoiser - encore à tâtons - ce phénomène.

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On ne peut pas surveiller chaque citoyen soupçonné d'avoir voyagé en Syrie ou en Irak pour des motifs liés au djihad, accusé ou pas : les services de sécurité n'ont pas assez de « bras » pour remplir cette tâche, irréaliste.

Si l'État canadien avait assez d'agents et de policiers pour surveiller des centaines de personnes simultanément, ce serait probablement un État... policier. 

Pas une démocratie. Ce qui nous ramène au grand défi de notre époque : faire face à la menace terroriste sans renier les principes qui font la force des démocraties.

Cela étant dit, j'ai toujours pensé que le travail de renseignement et policier bien ciblé était le rempart le plus efficace pour dépister les coucous qui veulent commettre des actes de terreur ici...

Mais j'ai beau croire au travail policier, apprendre dans l'enquête de La Presse que la GRC a stupidement tardé à partager des informations avec la Sûreté du Québec au sujet d'un Québécois soupçonné d'être allé en Syrie - et qui s'était légalement acheté des armes ici - n'a absolument rien de rassurant.