Le tueur de Dawson s'est suicidé après avoir rampé dans un recoin de la cafétéria. Il venait d'être touché par le tir d'un policier. Ce policier, c'est Denis Côté. L'histoire est connue : Côté faisait partie d'un petit groupe d'agents qui a réussi à cerner le tireur, le 13 septembre 2006.

Cela a fait 10 ans, hier, que le tireur qu'on ne nommera pas ici a tué une étudiante, Anastasia De Sousa, en plus d'en blesser plusieurs autres.

Hier, l'agent Côté était à la commémoration de la tragédie de Dawson, en compagnie de victimes, de leurs proches, des membres de haut rang de la police, du gratin de la politique qui lui a rendu hommage, à lui et aux autres agents qui ont investi Dawson... Disons qu'il n'était pas dans son élément naturel hier, son élément naturel, ce sont plutôt les rues du centre-ville, où il patrouille en solo, par choix.

Je lui demande ce que signifie le 13 septembre depuis 2006, ce que signifiait cette commémoration, en journée, hier...

« C'est une journée où je m'efface derrière les victimes, 10 ans après, je constate où elles en sont. À la cérémonie, j'ai pu parler à des victimes, je vois comment elles s'en sont sorties. Un tel a un travail qu'il aime, une autre a une famille. C'est ce que j'allais chercher, à la cérémonie... »

Denis Côté, 52 ans, 28 ans « de date » comme les policiers disent pour parler de l'ancienneté au SPVM, a une relation particulière avec ceux et celles qui étaient à Dawson, le 13 septembre 2006.

Tenez, hier, une jeune femme attendait qu'il ait fini de papoter avec des journalistes après la cérémonie. Côté a bien vu qu'elle voulait lui parler, il a pris congé des reporters et s'en est approché. « Je lui ai demandé si elle voulait me parler. Elle était à Dawson, il y a 10 ans. Elle m'a juste demandé un câlin, puis elle m'a dit merci, qu'elle avait besoin de ça... »

Une autre fois, il y a quelques années, Côté était dans un centre commercial quand une jeune femme l'a approché, une victime de Dawson qui avait été touchée par un tir. Elle était flanquée de sa mère, grandement émue de le rencontrer, mais trop émue pour même parler. « Elle m'a simplement remercié, en pleurant. »

Ces témoignages impromptus qu'il reçoit parfois de gens qui étaient à Dawson le 13 septembre 2006, il ne s'y habitue pas, il est toujours bouleversé par l'émotion que ces gens - des victimes et leurs proches - ressentent toujours, des années après le drame.

- Pour moi, ces témoignages, c'est plus intense, plus important que les félicitations d'un collègue, d'un patron, qu'une récompense qu'on me remet...

- Même le prix de la bravoure de la gouverneure générale ? l'interromps-je...

- Oui, même ça. Dans ces témoignages, tu vois concrètement l'incidence directe que tu as eue sur la vie d'une personne. 

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Denis Côté est quelque chose comme une légende dans les rangs de la police. Même avant Dawson, sa réputation de policier qui ne recule devant rien ni personne dépassait largement les limites du centre-ville, où il patrouille.

Puis, le 13 septembre 2006, il était loin de la rue Atwater quand un appel est sorti sur les ondes de la police pour signaler un tireur actif au collège Dawson. Il dînait au Lafayette, rue Sainte-Catherine, quasiment sous le pont Jacques-Cartier. Personne ne lui en aurait voulu s'il n'avait pas mis le cap sur Dawson. Il s'y est quand même ramassé quelques minutes plus tard, avec la poignée d'agents qui avaient réussi à cerner le tireur après l'avoir traqué sans relâche, ce qui avait rapidement transformé le prédateur en proie.

C'est en lui, Côté ne peut pas ne pas intervenir s'il sent qu'il peut aider, qu'il peut appréhender un suspect qui ne veut pas se laisser appréhender...

Comme la fois où, dans un parking de Walmart en Californie, touriste en voyage dans son VR, il a été témoin d'une empoignade entre un suspect de hold-up et un agent de sécurité. C'était violent. Et l'agent de sécurité n'avait pas le dessus...

« Je sentais que ça pouvait déboucher sur quelque chose de mauvais, alors je suis sorti du camion et je suis allé aider l'agent de sécurité... »

Le suspect fut maîtrisé et appréhendé. Encore une fois, il avait trouvé l'action, ou l'action l'avait trouvé. « Ma blonde dit que je suis un aimant à marde... »

Mais cette propension à chercher et à trouver l'action l'a mis sur la sellette dans la mort de l'itinérant Alain Magloire, en février 2014. Traqué par des policiers incapables de le raisonner, Magloire marchait rue Berri, tenant un marteau, en proie à une psychose qui le rendait violent. Entendant le désarroi de ses collègues sur les ondes, l'agent Côté s'est dirigé vers la scène.

En arrivant près du terminus d'autobus, il voit que la situation dégénère et décide de tenter une manoeuvre non orthodoxe : il fonce à basse vitesse sur Magloire avec sa voiture, dans l'espoir qu'il échappe son marteau, grâce au choc, sous l'effet de surprise. Alain Magloire n'a cependant pas lâché son marteau malgré l'impact. Il a été tué par les policiers alors qu'il s'apprêtait à frapper un agent au sol.

Denis Côté avait été critiqué pour ce geste, pour l'utilisation de sa voiture comme « arme intermédiaire ». Geste qu'il a dû justifier et expliquer lors de l'enquête du coroner...

Qui ne l'a pas blâmé.

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Je demande à Denis Côté ce qu'il pense du fait que l'arme utilisée par le tueur de Dawson est encore en circulation de nos jours, je lui demande ce qu'il pense du registre des armes à feu...

Il n'a rien à dire là-dessus, ce sont des enjeux auxquels il n'a pas réfléchi, auxquels il ne veut pas réfléchir : son job à lui, dit-il, c'est le terrain, c'est d'intervenir, point. Il n'intellectualise pas ce job.

Tout au plus dira-t-il au coroner, lors de l'enquête sur la mort d'Alain Magloire, que plus de policiers devraient être équipés de pistolets électriques de type Taser (il en a désormais un, d'ailleurs). 

« Ce que j'aime, c'est mettre mon bagage d'expérience à contribution avec les autres policiers, lors d'interventions à haut risque. Plus le risque est grand, plus mon expérience importe. Mets-moi dans un bureau, et je n'ai plus de raison d'être dans la police. »

En ce 10« anniversaire » de Dawson, Denis Côté a 52 ans. Entré dans la police en 1984, au SPVM en 1988, il est admissible à la retraite en février 2018.

Et il entend la prendre. Il lui reste donc 18 mois à patrouiller dans les rues du centre-ville de Montréal.

- Et quand je vais prendre ma retraite, jure l'agent Côté, je vais fermer les livres sur toutes mes expériences, incluant Dawson.

- Tu seras pas au 15e ?

- Non, je vais passer à autre chose. Le plus dur, ça va être de ne plus avoir ce germe de la police. De ne plus intervenir quand un gardien de sécurité sera débordé, dans un centre d'achats, mettons...

Je le regarde, il y a plein de doutes dans mes yeux : 

- Même retraité, je pense que ce sera plus fort que toi, que tu vas intervenir quand même...

Il sourit.

- Peut-être, oui.