Durant la dernière année de sa vie, Louise Laplante était prisonnière de son corps : confinée à un fauteuil motorisé, incontinente, incapable de faire quoi que ce soit elle-même. La sclérose en plaques est une salope.

Les quinze années précédentes avaient été une lente dégénérescence pour cette femme autrefois active et férocement indépendante.

Et à la fin, tout ce que Louise pouvait bouger, c'était sa main gauche. Et encore là, partiellement...

Cet enfermement était un supplice psychologique, bien sûr. Qui s'ajoutait à la douleur physique, constante.

Mourir ?

Louise y pensait. Elle y pensait souvent et elle y pensait sérieusement, comment voulez-vous ne pas penser en finir, dans cette situation ? Quand la Loi concernant les soins de fin de vie est entrée en vigueur au Québec, Louise a cru que ce serait sa police d'assurance, la façon humaine d'en finir quand elle en aurait assez.

Mais cette loi adoptée par l'Assemblée nationale, aussi connue sous le nom « Mourir dans la dignité », est claire : n'y sont admissibles que ceux qui sont en fin de vie, en phase terminale. Ce qui n'était pas le cas de Louise : prisonnière de son corps, certes, mais la vie n'était pas sur le point de quitter son corps. Louise Laplante n'était pas admissible à l'aide médicale à mourir.

Elle s'était donc renseignée sur la Suisse, où l'euthanasie est légale et pratiquée par Dignitas. Pour des gens de partout dans le monde, qui habitent des pays où l'aide médicale à mourir est illégale, la Suisse est l'ultime destination, la police d'assurance contre des souffrances prolongées : Dignitas vous tuera dans un cadre contrôlé pour 22 000 $, au moment de votre choix.

Mais la SP est une salope, disais-je, une salope qui progresse parfois lentement, parfois brutalement. Et quand Louise a décidé qu'il était temps d'aller en Suisse pour y finir ses jours, il était trop tard : la maladie sapait ses énergies au point que ce voyage était devenu une affaire impossible.

Louise avait perdu la course contre la montre, contre la dégénérescence de son corps.

Rester dans son condo était aussi devenu une affaire impossible pour Louise, vers la fin de l'hiver dernier. Ses filles Léa et Aimée Simard ont alors organisé son transfert en CHSLD.

Et pour Louise, malgré la morosité de l'enfermement dans son corps, ce transfert fut le point de bascule. « L'idée d'être en CHSLD lui était insupportable », m'a dit sa fille Léa*, la semaine dernière.

Pourquoi ?

Parce que le personnel, surtout habitué à parler avec des vieux durs d'oreille, lui criait dans les oreilles. Parce que ça peut être infantilisant, un CHSLD. Parce que chaque jour, vingt personnes différentes peuvent entrer dans votre chambre. Parce que vous mangez à l'heure où on vous dit de manger. Parce que ça se passe de jour alors que Louise avait toujours été une bibitte de nuit...

Parce que Louise Laplante était, je vous l'ai dit, une femme qui avait été férocement indépendante.

Et le CHSLD, veut, veut pas, c'est la confirmation de votre dépendance.

Louise a donc décidé qu'il était temps pour elle de mourir.

Mais comment mourir, quand on n'est pas admissible à l'aide médicale finale ? Quand on ne peut pas se lancer devant un train parce que, comme Louise, on ne peut que bouger son poignet gauche et, encore là, partiellement...

Il reste alors le jeûne.

Traduction : se laisser mourir de faim.

Parce que manger et boire, c'est un soin, d'un point de vue médical. Et chacun peut décider de refuser un soin. Louise pouvait donc décider de cesser de manger et de boire, pour se laisser mourir, dans ce CHSLD de la Rive-Sud.

Léa : « Elle a consulté tout le monde, ma soeur jumelle, moi, ses trois frères. Pour nous tous, c'était une évidence : elle souffrait. On ne la reconnaissait plus. On avait perdu notre mère depuis quelques années. On s'occupait d'elle comme d'une enfant. »

Quelque part en mars, Louise Laplante a donc cessé de manger, seul et ultime moyen de se libérer de cette prison qu'était son corps.

Demain, je vous raconte la mort de Louise Laplante, morte il y a deux semaines, le 13 mars, à l'âge de 66 ans.

Je vous raconte comment ça se passe, se laisser mourir de faim dans un système où le biais naturel - humain et systémique - est de ne pas vous laisser mourir.

Demain, je vous raconte comment, des fois, on ne sait pas mourir. Demain, je vous raconte c'est quoi, une mort dans l'indignité.

*Le lendemain de la mort de sa mère, Léa Simard a accordé une entrevue à Benoît Dutrizac, au 98,5 fm.

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Aimée et Léa Simard à côté d’une photo de leur mère Louise Laplante