C'est tellement, tellement grossier. Air Canada était obligée par la loi qui l'a libérée de ses chaînes de société de la Couronne de maintenir à Montréal un centre d'entretien de ses aéronefs. C'est dans l'article 6 de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada.

Il y a quelques années, Air Canada a transféré à Aveos la responsabilité de l'entretien d'appareils... Mais, maudite affaire, Aveos a reçu de moins en moins de contrats d'entretien des aéronefs d'Air Canada !

En 2012, Aveos a mis 1700 employés à la porte.

Tout le monde a vu cela pour ce que c'était : une manoeuvre, une façon de contourner l'article 6 dont je vous parlais.

Quand même, 1700 jobs perdus d'un coup, de bons jobs spécialisés, cela a fessé dans le cockpit. Le gouvernement libéral de Jean Charest a annoncé une contestation judiciaire visant à forcer Air Canada à respecter les obligations prévues dans l'article 6 de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada. Le Manitoba s'y est joint. Ottawa, lui, a appuyé Air Canada.

Pour mémoire, rappelons ce que le ministre libéral de la Justice Jean-Marc Fournier avait dit, en 2012, en traînant Air Canada devant les tribunaux. « C'est une insulte à la parole des parlementaires qui, avec intégrité, défendent des causes auxquelles ils croient. C'est une insulte à la démocratie et à ses acteurs principaux, les élus légitimes. La loi est claire et les propos parlementaires qui ont accompagné son adoption sont cohérents. »

(Contexte : il évoquait les députés fédéraux qui avaient voté la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada, en 1988, loi bafouée par Air Canada, selon M. Fournier.)

En novembre dernier, près de quatre ans plus tard, la Cour d'appel du Québec a confirmé ce que la Cour supérieure avait décrété : Air Canada a violé la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada en ne maintenant pas à Montréal d'activités d'entretien de ses appareils, désormais entretenus un peu partout dans le monde.

Voici deux extraits du jugement de 25 pages de la Cour d'appel : 

« Il n'importe pas que la décision d'Air Canada et de ses administrateurs ait été motivée par des raisons qu'on pourrait juger valables du point de vue des affaires. De telles raisons ne peuvent justifier d'enfreindre la loi et ne peuvent faire disparaître la transgression, pas plus qu'elles ne permettent de l'ignorer. »

« Autrement dit, le législateur prescrit le maintien du centre de Montréal (comme de celui de Winnipeg), ce qui implique qu'on y maintienne la substance des activités qu'on y menait en 1988, ou l'équivalent. À partir du moment où les affaires d'Air Canada la mènent à fermer ce centre ou à en réduire les activités de façon à ce qu'elles n'équivaillent plus à celles qui y avaient cours en 1988, elle enfreint la Loi. »

Je répète : Air Canada enfreint la Loi.

Point.

C'était en novembre. Ça se présentait bien, pour les ex d'Aveos. Les jobs ne seraient probablement pas revenus même si la Cour suprême avait débouté Air Canada. Mais cela aurait donné un sacré levier aux syndiqués pour négocier avec Air Canada des compensations à la hauteur de l'affront, de l'illégalité subie quand Aveos a fermé ses portes.

Ça se présentait bien, en surface. Mais les 1700 employés d'Aveos étaient sur le point d'être sacrifiés, dans les faits.

***

Le gouvernement du Québec, libéral comme celui de 2012, a annoncé la semaine passée qu'il se désistait de son recours jusque-là teinté de succès.

Dans une valse de marchandage impliquant Air Canada, Bombardier et le fédéral, Québec a choisi de laisser tomber les 1700 travailleurs lésés par le geste illégal d'Air Canada.

Puis, comme par magie, de façon simultanée, Air Canada a acheté 45 avions C Series de Bombardier, qui a reçu une aide controversée et contestée de 1,3 milliard de Québec. Une première commande d'envergure pour Bombardier.

Air Canada a par ailleurs promis la création d'un éventuel, futur, hypothétique, imprécis « centre d'excellence » qui ferait l'entretien de ses C Series de Bombardier.

Combien de jobs ?

La semaine passée, Québec évoquait 1000 jobs. Mais hier, le PM Couillard a baissé les attentes : « Ce n'est pas à l'État de dicter à une entreprise quelles sont ses politiques en termes de maintien d'emplois », a-t-il déclaré.

Mais le gouvernement, a dit M. Couillard, va « insister » auprès d'Air Canada pour que le centre d'entretien des C Series soit confirmé. On imagine d'ici les patrons d'Air Canada trembler devant cette « insistance » de Québec, eux qui ont réussi à bafouer sans aucune conséquence la loi forçant le maintien d'activités d'entretien d'aéronefs à Montréal...

Le gouvernement du Québec, comme celui de Stephen Harper avant lui, a donc baissé pavillon devant Air Canada et a décidé de ne pas forcer le transporteur à respecter la loi. En rendant légale la destruction illégale de 1700 jobs. (Le gouvernement du Manitoba, lui, dit poursuivre les discussions avec Air Canada, à propos des 400 emplois perdus chez Aveos à Winnipeg.) Le gouvernement Trudeau, quant à lui, a annoncé qu'Air Canada respectait « l'esprit » de la loi (contredit en cela par deux tribunaux du Québec).

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T'es un ex-travailleur d'Aveos, mettons.

Tu sais très bien que tu as été une monnaie d'échange, que le gouvernement a sacrifié ta dignité pour aider le grand poker de Bombardier financé par les deniers publics. T'es pas fou.

Et là, tu vas dans Google et tu cherches ce que Jean-Marc Fournier, encore ministre libéral aujourd'hui, a dit en 2012, en traînant Air Canada en cour. Et tu trouves ces mots indignés : « C'est une insulte à la parole des parlementaires qui, avec intégrité, défendent des causes auxquelles ils croient... »

Et tu te souviens de Denis Coderre qui, alors député fédéral, prônait en 2012 le respect de la loi par Air Canada. Denis Coderre, qui a dit que toi et tes camarades aviez été - son choix de verbe - « fourrés ». Et hier, chez Arcand, il n'a plus de gros verbes à la bouche pour te défendre, tu l'entends dorénavant dire qu'il attend d'Air Canada des garanties écrites sur l'entretien à Montréal des C Series... Alors qu'Air Canada n'a pas respecté les garanties écrites dans la loi !

Tu regardes l'écran, un peu sonné.

Plein de mots te viennent à l'esprit, plein de mots qui ne s'écrivent pas dans le journal.