Ils l'ont trouvée. Désolé, je n'ose pas dire les autres termes utilisés pour parler de Cédrika depuis samedi soir. Ils ont trouvé Cédrika Provencher. Elle était morte.

Cédrika, 9 ans, a croisé la route d'un homme qui cherchait son chien, le 31 juillet 2007. Un homme malchanceux, apparemment : c'était la troisième fois qu'il perdait son chien, vers la fin de ce mois-là - et qu'il demandait à des petites filles de l'aider à le retrouver - dans les environs du quartier Saint-Jean-Baptiste, à Trois-Rivières...

Et après la disparition de Cédrika, on n'a plus signalé de type qui demandait aux petites filles de l'aider à chercher son chien.

La vie est pleine de saloperies, certains diront que ce n'est qu'un buffet de saloperies. Mais dans le palmarès des saloperies de la vie, il y a les morts d'enfants. Et juste au-dessus, il y a les assassinats d'enfants.

Je me souviens qu'il faisait chaud, je me souviens de Martin Provencher en bermudas, dans cette vieille Caisse pop désertée transformée en quartier général des recherches, une semaine après la disparition de la petite. Je pensais trouver un père effondré, ce fut tout le contraire : Martin était solide, lucide, et il enchaînait les entrevues, tout pour garder Cédrika dans les nouvelles et dans les consciences. Il s'était lancé dans l'action, et cet été-là, on l'a vu partout.

Je lui avais demandé comment il faisait pour ne pas devenir fou dans ce cauchemar bien réel que tous les parents ont au moins une fois imaginé, celui de la disparition de leur enfant. Réponse : « Peut-être que mon métier m'aide. Je suis expert en sinistres dans une compagnie d'assurance. Quand on refuse d'indemniser, ben c'est moi qui l'annonce aux clients. C'est moi qui annonce les mauvaises nouvelles. Fait que c'est après moi qu'on crie... »

La disparition de Cédrika, c'était une mauvaise nouvelle sans fin, un cri au ralenti qui a duré 3056 jours, le nombre de jours entre le 31 juillet 2007 et la découverte de vendredi dernier, dans un boisé de Saint-Maurice, près de Trois-Rivières.

J'ai un ami qui croit à la justice immanente, ce principe ésotérique selon lequel les saloperies ne restent pas impunies, en marge de la justice des hommes. La justice immanente est ce que les Anglos appellent poetic justice : la vie se charge de faire payer les salauds, par un juste retour du balancier qui fait triompher le bien.

J'allais dire qu'une telle chose n'existe pas. Je suis à 99 % convaincu qu'une telle chose n'existe pas. Est-ce que ça existe ? Il y a des jours où je voudrais qu'une telle chose existe, comme aujourd'hui.

Tout ce qui reste, c'est la justice des hommes. Mais pour que la justice des hommes entame sa marche sereine et imparfaite, il faut que la police fasse tomber le premier domino. On sait que la Sûreté du Québec a rapidement mis les ressources nécessaires sur l'enquête, on sait que des enquêteurs sont sortis de leurs vacances cet été-là pour aller travailler en Mauricie, plusieurs n'ayant même pas attendu l'appel leur demandant de se rapporter au travail justement parce que plusieurs sont des parents, et qu'ils ont voulu aider là, tout de suite ; on sait que tous les indices ont été vérifiés, même les plus invraisemblables...

Rien. Ça n'a rien donné. Cédrika n'a pas été retrouvée.

Des fois, la police n'arrive pas à faire tomber le premier domino de la justice à cause d'une bête question de malchance. Un témoin qui se mêle dans une description, une caméra de surveillance qui ne fonctionnait pas, va savoir.

« C'est après moi qu'on crie », m'avait dit Martin Provencher au sujet de son métier d'expert en sinistre qui doit parfois annoncer que, non, la compagnie d'assurance ne vous indemnisera pas, Monsieur, Madame...

L'horreur, c'est quelqu'un qui assassine ton enfant.

Et l'ignominie, c'est la couche d'horreur supplémentaire, c'est ne pas savoir c'est qui, le salaud, c'est ne pas avoir personne après qui crier, ne serait-ce qu'une seule fois, ne serait-ce que dans ta tête.