Vous étiez beaux à voir, je vous le dis, dans le scandale d'Un souper presque parfait ! Unis dans l'inclusion sociale des personnes handicapées ! Accroche-toi à mon bras, matante à mobilité réduite ! Touche pas à mon pote trisomique !

Je cite pour mémoire la jeune participante qui a dit des choses si sottes qu'elles ont éclipsé la subtile marinade de son carré d'agneau : « Ils ne font pas partie de la société, genre, parce que nous on paie pour eux, mais eux autres, ils contribuent à rien... »

Et là, comme le petit Jimmy s'extirpant de son fauteuil roulant dans Lance et compte, le Québec s'est levé de son indifférence pour dire - hurler - sa colère devant cette émission qui n'a pas censuré les mots stupides d'une no name de 20 ans...

Vous étiez touchants. Et hypocrites.

ll y a 68 stations de métro à Montréal. Combien sont dotées d'un ascenseur ?

Neuf.

Traduction : il y a 9 stations sur 68 qui peuvent accueillir les personnes en fauteuil roulant. Neuf. C'est un scandale, un vrai, et il est connu depuis des lustres. Ça empêche en pratique les personnes en fauteuil roulant de prendre le métro.

C'est le grand combat collectif de ceux qui militent pour les droits des personnes handicapées à Montréal depuis des années. Un combat pratique autant que symbolique : pousser la Société de transport de Montréal (STM) à équiper toutes les stations d'ascenseurs (il y a des travaux en cours et d'autres prévus dans une demi-douzaine de stations).

Ai-je raté votre indignation devant ce réseau si peu accessible aux handicapés ?

En avril, le Regroupement des activistes pour l'inclusion au Québec (RAPLIQ) a déposé une demande d'autorisation de recours collectif contre la STM, l'Agence métropolitaine de transport, la Ville de Montréal et Transports Québec pour forcer l'installation d'ascenseurs dans ces stations. Une dépense de plusieurs centaines de millions de dollars, qui sera payée par « nous ».

Pour le fun, j'ai tapé dans la base de données des médias québécois Eureka les mots « RAPLIQ » et « recours collectif », pour voir l'ampleur de la couverture de cette affaire.

Résultat : 24 mentions, dans la semaine suivant le dépôt de la demande de recours collectif.

Puis, j'ai tapé les mots « Un souper presque parfait » et « handicapés », pour comparer, du 20 au 27 octobre.

Résultat : 177 mentions.

Et je ne mentionne même pas le délire Facebook et Twitter contre l'émission, contre cette pauvre nounoune de 20 ans, délire inquantifiable...

C'est quand même fantastique : une jeune femme dit que les handicapés ne font pas partie de la société, vous la lynchez.

Mais depuis des décennies, les personnes en fauteuil roulant ne peuvent pas se déplacer dans le métro de Montréal, ce qui revient à les rejeter de la société, et qu'est-ce que ça vous fait ?

Rien.

Permettez que je cite Richard Lavigne, directeur général de la Confédération des organismes de personnes handicapées (COPHAN), qui crie depuis 30 ans pour que le Québec s'adapte un peu aux handicapés : « Être compatissant quand ça n'engage à rien, ça va : là, tout le monde est de notre bord. »

Mais vous êtes beaux, dans votre activisme de salon, je dois vous le dire.

MES MOTS SONT PLUS FORTS QUE LES TIENS

C'était il y a une semaine, un peu après minuit, rue Ontario. L'humoriste Louis T. bossait ferme sur ses gags dans son bureau.

Dehors, du bruit.

Les sons, à la fois immanquables et indéfinissables, de jeunes gens sur le point d'en venir aux coups. Les éclats de voix, les insultes, les gros mots...

Six ou sept jeunes, a pu compter Louis, de sa fenêtre, au deuxième. Le ton montait de plus en plus, alors il a sorti son téléphone, en bon citoyen, prêt à appeler le 9-1-1. C'est à ce moment-là qu'un des jeunes a proposé une façon de trancher le litige.

« On fait un rap battle ! »

Une bataille de rap, quoi. Chaque gars de chaque camp s'est mis à faire rimer des mots pour faire triompher son point de vue et railler l'autre camp.

« Ç'a duré cinq, dix minutes, peut-être. La mère de tout le monde a été insultée... »

Puis, l'un des deux groupes a baissé pavillon, signifiant que les rimes de l'autre camp avaient triomphé des siennes.

« Je sais, me dit Louis, que ça ressemble à une scène de film, mais c'est comme ça que ça s'est passé. »

J'aime ce film.

RESTEZ RÉSILIENTS, LES PETITS

Une mère, fâchée de l'annulation des fêtes de l'Halloween dans l'école de sa fille, à cause des moyens de pression, m'écrit : « Je trouve que les enfants de 5 à 12 ans sont pris en otages. Ils sont les victimes et j'ai peine à penser que ces enseignants en sont venus à ça. J'ai une très grande estime pour eux, je suis terriblement déçue comme maman. Et que dire de ma fille... »

« Otages ? »

« Victimes ? »

Eh, misère, petit pays où il ne se passe jamais rien...

Donc, si je suis votre raisonnement, les profs peuvent faire des moyens de pression, mais tant que ça ne dérange ni les parents, ni la vie de l'école, ni le droit constitutionnel des enfants de porter en classe un costume de Darth Vader ou de la Reine des neiges, demain ? OK.

Je vous rappelle que les profs diffusent longtemps à l'avance leurs jours de grève tournante. Et qu'une éventuelle grève générale (seul moyen de pression efficace) sera prestement réprimée quand le seul ministre qui compte à Québec (Martin Coiteux) décidera que la fête (pas celle de l'Halloween) aura assez duré (en imposant une loi forçant le retour au travail).

Mais bon, je sympathise avec vos petits trésors qui porteront le reste de leur vie le traumatisme de l'annulation de la fête de l'Halloween à l'école en 2015.

Soyez forts, chers parents.

Et, surtout, #NeverForget.