Adil Charkaoui et moi entretenons une correspondance espacée et ponctuelle sur Twitter. Notre tango est toujours le même.

Je lui pose des questions.

Et il répond à côté des questions.

M. Charkaoui, on le sait, est ce Montréalais d'origine marocaine, nouvellement naturalisé canadien, qui a combattu devant les tribunaux le certificat de sécurité que les ministères de l'Immigration et de la Sécurité publique lui ont naguère collé aux fesses, sur la base de soupçons du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) quant à ses sympathies extrémistes et à ses accointances avec des membres d'Al-Qaïda. M. Charkaoui a gagné ce combat.

Ottawa ayant préféré retirer la preuve que le SCRS disait avoir contre M. Charkaoui - notamment sur des discussions que celui-ci aurait eues sur la meilleure manière de détourner un avion de ligne -, la cause contre lui est tombée. Et le second certificat de sécurité, car il y en avait deux, est tombé, lui aussi. La Cour suprême a frotté les oreilles de l'État pour le traitement qu'il a réservé au Montréalais.

Je comprends parfaitement qu'une partie du travail de l'ombre des espions doit rester là, dans l'ombre. Et que la judiciarisation de certaines causes pourrait dévoiler des méthodes d'enquête et des sources confidentielles, motifs invoqués par Ottawa pour ne pas présenter ses preuves contre M. Charkaoui. Mais je n'ai pas une foi suffisamment grande dans la sainteté des services de renseignement pour leur faire aveuglément confiance. On les sait parfois retors.

Donc, je le dis : l'État n'a jamais fait la démonstration qu'Adil Charkaoui était un terroriste lié à Al-Qaïda dans les années 90. Au Maroc ou dans quelque autre dictature, les soupçons qui ont pesé sur lui l'auraient envoyé à l'ombre. Justement, le Canada n'est pas une dictature : M. Charkaoui a donc pu faire valoir ses droits et il peut poursuivre Ottawa pour 26 millions.

Adil Charkaoui n'est pas un terroriste, c'est dit. Mais ce que je veux vous dire, c'est que pour un personnage public qui prend la parole, il a une difficulté bizarre à répondre à des questions simples.

En décembre 2013, alors que M. Charkaoui s'agitait bruyamment sur l'islamophobie, je lui ai demandé sur Twitter sa vision de la charia dans le Québec du XXIe siècle.

C'est une question simple.

Mais M. Charkaoui n'a jamais répondu, malgré mon insistance : il lançait des écrans de fumée à gauche et à droite pour faire dévier le débat. Il m'a notamment cité un papier du Devoir relatant son combat juridique victorieux, en me menaçant de poursuites.

Yves Boisvert s'est joint au débat en demandant à Adil Charkaoui de nous expliquer les détails de son voyage au Pakistan, en 1998. Rappel : M. Charkaoui a été interrogé là-dessus au début de 2001 par le SRCS.

Le juge fédéral Simon Noël a écrit qu'il aurait voulu que M. Charkaoui clarifie les détails de ce voyage : « Rien n'a été fait à cet égard », notait-il dans une décision de reconduire le certificat de sécurité. Le juge Noël - le même qui a plus tard ordonné sa remise en liberté - notait aussi que d'autres aspects du dossier n'avaient pas été abordés « de façon satisfaisante » par l'intimé.

Lundi soir, Adil Charkaoui et moi avons recommencé à danser le tango sur Twitter : cette fois-ci, c'est moi qui ai cité un article du Devoir, signé Brian Myles, et qui relatait les doutes de M. Charkaoui, au début des années 2000, sur l'implication d'Al-Qaïda dans les attentats de 2001. Ceux-ci, a-t-il dit à l'époque, auraient pu être commis par les Américains eux-mêmes. Bref, bonjour le complot...

J'ai posé une question simple à M. Charkaoui : pense-t-il toujours la même chose ? Pour garder le tout encore plus simple, j'ai proposé les réponses « oui » et « non » à M. Charkaoui. Sa réponse : un hyperlien vers un papier que je signais en 2003 dans Le Journal de Montréal, sur... Star Académie ! Ni oui ni non.

La semaine passée, Marie-France Bazzo a invité Adil Charkaoui à faire un monologue à son émission et... Pardon, ai-je dit « monologue » ? Non, pardon, elle l'a invité à un « débat » avec le journaliste Fabrice de Pierrebourg sur son livre Djihad.ca, un livre qui a courroucé M. Charkaoui. Mais le débat n'a jamais eu lieu, puisqu'Adil Charkaoui ignorait superbement les supplications de l'animatrice de laisser parler son vis-à-vis...

Chaque question était contrée par une contre-question qui contestait le bien-fondé de la question, par des accusations ridicules (« C'est du Bugingo ! »), par des réponses sans lien avec la question. Quinze minutes d'esquives, de feintes, de parades...

Bref, chez Bazzo, c'est l'Adil que j'ai reconnu dans mes échanges sur Twitter et que le juge Simon Noël a pu reconnaître quand il cherchait des éclaircissements sur ses voyages au Pakistan. J'ai reconnu chez Bazzo l'Adil qui répond à coups de feintes aux questions des journalistes sur ces jeunes Montréalais qui sont partis - ou qui ont tenté de partir - en Syrie, dont plusieurs fréquentaient une école coranique dont M. Charkaoui préside le conseil d'administration.

C'est le choix de M. Charkaoui de répondre à côté des questions, en posant des questions sur les questions, en menaçant de poursuivre ou en raccrochant carrément...

Mais ces feintes rhétoriques à répétition incitent beaucoup, beaucoup de gens à prendre tout, absolument tout ce qu'Adil Charkaoui dit avec un grain de sel gros comme un Airbus.

J'en suis.