Les gars, je vais vous raconter une petite histoire. Pensez à votre blonde, à votre mère, à votre soeur...

Qu'importe qui, au fond. Cette femme, vous devez l'aimer, d'une façon ou d'une autre.

O.K.

Un homme s'approche donc de cette femme que vous aimez. Il est fâché contre elle. Il lui caresse sarcastiquement les cheveux, entre dans sa bulle en lui faisant un câlin non sollicité et non réciproque.

Et après, il la traite de grosse...

Qu'est-ce que vous avez envie de faire à ce gros malappris ?

Eh bien, c'est ça. Moi aussi.

***

Marie-Claude Julien est journaliste à la télévision de Radio-Canada à Trois-Rivières. Il y a en Mauricie un organisme qui s'appelle Groupe RCM qui emploie des personnes handicapées pour trier les déchets qui sont mis dans le bac de recyclage.

Groupe RCM est plongé dans une controverse mêlée à une crise : des employés ont été virés, sur fond de dénonciation de la rémunération consentie à deux membres du conseil d'administration. L'affaire, qui a un écho régional, a été couverte par Marie-Claude Julien.

Les deux membres du C.A. en question sont deux ex-gloires politiques locales, j'ai nommé Guy Julien et Yvon Picotte, qui ont été respectivement ministres péquiste et libéral.

Jeudi dernier, MM. Julien et Picotte présentaient le nouveau DG de Groupe RCM lors d'un point de presse. Guy Julien a alors croisé la journaliste Marie-Claude Julien avant le début de la conférence de presse.

Il lui a d'abord dit que sa couverture de la bisbille au sein de Groupe RCM était du « salissage ».

Il lui a ensuite fait une accolade non sollicitée et non réciproque.

Puis, Julien - ministre trois fois sous Lucien Bouchard et sous Bernard Landry - a dit ceci à Mme Julien : « Je te regardais à la télévision, pis t'as grossi, toi. T'as engraissé. »

Juste avant la conférence de presse, des micros ont capté l'échange Picotte-Julien, où l'ancien ministre libéral interroge l'ancien ministre péquiste sur ce qui vient de se passer avec Mme Julien.

Picotte : « C'est elle qui nous a beurrés ? »

Julien : « Oui. Je lui ai dit qu'elle avait engraissé. Elle était en tabarnak. »

Et les deux septuagénaires rient, ils rient comme deux mononcles qui sont encore assis à la taverne d'Amqui qui accueillait le festival de l'humour local, circa 1962...

Passons sur le fait qu'Yvon Picotte qui ose rire de kilos en trop, c'est comme Vincent Lacroix qui se moque d'Earl Jones. Allons plutôt à l'essentiel : le petit sexisme ordinaire de cette scène...

« C'est plus que sexiste, reprend au bout du fil Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme du Québec. C'est misogyne. »

Pour Mme Miville-Dechêne, Guy Julien a franchi toutes les barrières de la décence dans son interaction avec la journaliste Marie-Claude Julien.

« Cette idée de la toucher sans son consentement, c'est considérer que le corps d'une femme est un objet qu'on peut toucher. C'est excessivement paternaliste et c'est misogyne : ce geste dit que le corps de la femme, on peut se l'approprier. »

Je sais qu'il existe des régiments entiers d'hommes qui trouveront que cette affaire est une tempête dans un verre d'eau, que c'est encore une histoire de féminisses frustrées... Sauf que non.

D'où ma mise en situation, en début de chronique. Quand tu mets le visage d'une femme que tu aimes sur la femme générique qui subit le machisme ordinaire, c'est là que tu commences à trouver ça moins drôle. Et que tu te dis que le Québec a beau être une société plus égalitaire que le Pakistan, il reste encore de sacrés bouts qui ne sont pas encore asphaltés sur la route de l'égalité.

Ce qui me fait le plus capoter, dans l'interaction entre l'administrateur Julien et la journaliste Julien, c'est cette façon qu'il a eue d'entrer dans sa bulle comme on entre dans une maison où on n'est ni attendu ni bienvenu.

J'ai cette certitude, basée sur 30 ans de vie adulte dans la peau d'un gars : un homme qui fait et qui dit à un autre homme ce que l'administrateur Julien a fait et dit à la journaliste Julien, il le fait en sachant qu'il y a un risque de réponse en forme de claque sur la gueule.

C'est pas assuré.

Mais c'est pas complètement exclu non plus.

Au moment où tu penses le dire, il y a un doute. C'est ce doute qui fait que - en règle générale - les hommes ne font pas et ne disent pas à d'autres hommes ce que Guy Julien a dit à Marie-Claude Julien.

Parce qu'il y a ce risque de claque sur la gueule. Et ce risque, il incite à la retenue.

Et c'est justement là une illustration d'une forme de sexisme : dire et faire des choses qu'on ne dirait pas et qu'on ne ferait pas à un homme, mais qu'on n'hésite pas à dire et à faire à une femme.

***

J'ai hâte de voir les retombées de cette histoire de misogynie ordinaire. Que MM. Picotte et Julien agissent en mononcles qui ont raté le TGV du XXIe siècle, c'est leur affaire.

Mais s'il n'y a pas de réponse de ceux qui devraient répondre, s'ils restent administrateurs de Groupe RCM, permettez que je pouffe de rire la prochaine fois qu'on dira à quelque imam égaré dans un autre siècle qu'ici-au-Québec-on-n'accepte-pas-de-compromis-avec-l'égalité-hommes-femmes...

Si, on accepte.

Souvent, même.