Yves, Yves, Yves ! J'ai lu ta chronique d'hier sur le bras de fer taxis-Uber, celle où ton titre sévère dit tout : Uber est illégal. Point.

C'est vrai, le service Uber est illégal. Mais je doute que le débat meure simplement en ajoutant un « point » après qu'on eut décrété qu'Uber est « illégal ».

Oui, bon, quand je t'ai croisé hier, tu m'as reproché - sachant que j'allais te répondre ce matin - d'avoir retourné ma veste à propos d'UberX...

C'est vrai, en mai dernier, j'ai moi aussi écrit qu'UberX était illégal. Dit que le débat ne devait pas faire l'économie d'une réalité occultée : les chauffeurs de taxi paient leur permis jusqu'à 200 000 $ en pensant que ce métier ne peut pas être pratiqué par n'importe qui, n'importe comment. On peut les comprendre de ne pas faire la vague devant UberX.

J'ai écrit ça. Mais - car il y avait un « mais » - j'ai ajouté quelques nuances sur l'inévitabilité d'UberX. Sur l'usage qui finit par consacrer quelque idée perturbatrice et illégale.

Illégal, Uber ? Oui. Mais je trouve ton « point » bien légaliste.

La pression populaire, les changements technologiques, l'évolution des moeurs ont poussé les législateurs à transformer ce qui était un jour illégal en quelque chose de toléré... Puis, décriminalisé... (Tu me vois venir, hein ?...)

Et légal. Ou à peu près légal.

L'avortement. La marijuana. La pornographie. L'alcool. Le droit de vote des femmes. L'homosexualité. Le suicide assisté. « Déverrouiller » son téléphone intelligent.

Le musée de l'histoire regorge de pratiques illégales qui, sous la pression populaire, sont devenues légales. Ou à peu près.

Je pense qu'UberX tombe dans cette catégorie-là. Illégale aujourd'hui dans bien des juridictions, l'application suscite l'adhésion de milliers de personnes pour un tas de raisons, nobles (facilité, rapidité, écrémage des mauvais chauffeurs par la magie de l'évaluation) et moins nobles (moins cher que le taxi).

En mai, je suis donc venu à la défense des chauffeurs de taxi. J'en ai moins envie : j'ai eu la nausée cet été à les voir donner des coups de volant corporatistes contre Uber, comme si la saleté des poubelles roulantes que sont souvent leurs véhicules, comme si l'incivilité de tant de chauffeurs, comme si l'impossibilité de sanctionner un chauffeur incompétent n'avaient absolument rien à voir avec l'engouement du public pour Uber.

J'aimerais avoir une étude longitudinale qui démontrerait le mauvais service transversal chez les chauffeurs de taxi, mais il n'en existe malheureusement pas. J'en suis réduit, comme tout le monde, à des anecdotes désagréables qui ne sont pas révélatrices en soi, mais révélatrices parce que si faciles à trouver et se recoupant, d'un client à l'autre. J'en ai moi-même vécu quelques-unes cet été. Elles ont grignoté ma bonne foi face à l'industrie du taxi montréalais.

Bref, là où tu dis « point » pour clore le débat, je vois un enjeu fluide qui évolue avec l'époque numérique, je vois un enjeu qui mérite des points de suspension, pas un poing sur la table.

En passant, Yves, comment te dire ça...

Je t'ai lu hier et je t'ai vu en chroniqueur fâché-fâché qui ne voit plus les teintes de gris. Et moi, ici aujourd'hui, je suis le marchand de nuances...

C'est bizarre.

C'est comme si tu étais moi et que j'étais toi. Y a un vieux film de Nicolas Cage qui est basé là-dessus.

Te sens-tu comme moi ?

Réponds-moi en me laissant un Post-it sur mon ordi, comme d'habitude.

Je me sens comme toi, personnellement. Je te laisse, j'ai furieusement envie d'aller faire du jogging.

OUPS - J'ai conclu ma chronique d'hier sur la culture des armes aux États-Unis en donnant l'exemple de la Floride, qui a à peu près interdit aux médecins de l'État de discuter d'armes à feu avec leurs patients.

Les associations de médecins américaines voient les morts et blessés par balles comme un problème de santé publique et encouragent leurs membres à parler des dangers des armes à feu avec leurs patients. À parler d'entreposage sécuritaire, par exemple.

Ça ne plaît pas au premier lobby des armes, la NRA. La Floride, sous l'impulsion de la NRA, a donc balisé à l'extrême la façon dont les médecins peuvent parler d'armes à feu avec leurs patients. Motif : protéger la vie privée de ces patients.

J'écrivais hier qu'un médecin ne peut donc plus demander à un patient dépressif s'il possède des armes, en sachant que la présence d'armes dans la maison de quelqu'un susceptible de se suicider augmente les risques de passer à l'acte. Ce n'est pas tout à fait vrai (oups). Le médecin peut encore poser cette question, mais il doit le faire selon des critères bien précis (contestés par les associations de médecins) qui sont uniques à la Floride, mais que d'autres États pensent imiter.

En revanche, comme je l'écrivais, un pédiatre floridien ne peut plus demander à de nouveaux parents s'ils ont une arme à la maison, en les mettant en garde contre la curiosité naturelle des enfants qui fait que chaque année, 100 enfants de moins de 14 ans se tuent parce qu'ils ont mis la main sur le gun d'un adulte...

Cette question est désormais une atteinte au droit à la vie privée des patients en Floride.

Culture des armes, bien sûr.

Toute-puissance du cash qui achète des lois, aussi.