L'éducation est prétendument une priorité des Québécois. On se répète ça, comme un mantra. L'éducation est une priorité, l'éducation, c'est important. Les partis politiques disent la même chose, ils mettent l'éducation dans le grand buffet de leurs priorités.

C'est pas vrai.

C'est pas vrai que l'éducation est une priorité pour les Québécois. C'est pas vrai que l'éducation est une priorité pour les gouvernements québécois.

Si l'éducation était une priorité, nous ne laisserions pas les gouvernements successifs lui faire ce qu'ils lui font. Je parle de compressions successives dont la dernière en lice se trouvait dans le budget Leitao, je parle de cette réforme lancée par les péquistes et maintenue par les libéraux, qui a eu des effets aussi inefficaces que si on l'avait confiée à un sorcier (1).

Si l'éducation était une priorité, nous serions furieux depuis longtemps devant les moyens souvent faméliques qui sont mis à la disposition des écoles. Nous serions furieux de voir ces compressions qui touchent les enfants aux prises avec des troubles d'apprentissage. Nous serions furieux - et humiliés - que nos écoles doivent financer l'achat de dictionnaires par des ventes de tablettes de chocolat.

Si l'éducation était une priorité, nous nous demanderions pourquoi tant de Québécois choisissent de payer 3000$, 4000$ ou 5000$ par année pour envoyer leur enfant à l'école privée. Dans la vie, il arrive que les gens votent avec leurs pieds: cet exode devrait être le canari dans la mine de charbon du public, celui qui nous avertit que le climat est en train de devenir délétère. Mais non, au Québec, quand il est question de la place de plus en plus grande des écoles privées dans l'écosystème de l'éducation, ceux qui parlent le plus fort veulent tuer le canari.

Il y a quelques années, j'ai voté avec mes pieds quand j'ai vu l'école de quartier pitoyable qui avait accueilli mon fils, pour sa maternelle. Quand une école privée a offert de prendre mon fils, trois jours après la rentrée scolaire, j'ai dit oui et je ne l'ai jamais regretté: ces 4000$ sont les meilleurs dollars que je dépense dans une année.

Plus tard, j'ai interviewé Diane De Courcy, alors présidente de la Commission scolaire de Montréal, pour Les francs-tireurs. Pendant que nous jasions à bâtons rompus, Mme De Courcy m'a demandé pourquoi j'avais choisi d'envoyer l'héritier au privé. Je lui ai raconté en détail ses trois jours dans cette école qui tenait davantage de la station de tri d'un goulag que d'un tremplin vers la vie pour les futurs citoyens. Quand je lui ai dit de quelle école il s'agissait, Mme De Courcy a soupiré: «Ça fait 10 ans qu'on a des problèmes dans cette école.»

La chose la plus simple à faire, ici, c'est de lancer la pierre à Mme De Courcy et à la CSDM. Je ne l'ai pas fait et je ne le ferai pas. L'école de quartier dont il est question est à l'image de l'idée de l'école - l'École, disons - au Québec: on la laisse aller à la dérive parce qu'on s'en contre-cr"*e.

Si l'École était importante, il aurait été impensable que cette école dont je vous parle soit ainsi laissée pour compte pendant une décennie. Une «mauvaise» école ne devrait jamais l'être longtemps.

Quand la CSDM a envoyé une note aux parents, fin avril, pour leur dire que les compressions gouvernementales allaient notamment la forcer à faire des coupes dans le transport scolaire, les services aux élèves en difficulté et des programmes parascolaires, le débat s'est cristallisé sur des écrans de fumée plutôt que sur le fond des choses.

Ah, si seulement la CSDM gérait bien ses affaires, a-t-on dit et répété (surtout à Québec), si seulement elle avait suivi les recommandations de la firme machin embauchée pour réviser sa gestion, peu avant, tss, tss...

OK. Je veux bien que la CSDM ne soit pas un parangon de gestion. Mais pourquoi la Commission scolaire de Laval a-t-elle annoncé le même genre de compressions? Pourquoi la même chose en Outaouais? Toutes les commissions scolaires gèrent-elles mal?

J'en entends me dire que oui, que toutes les commissions scolaires gèrent mal. Mettons que c'est vrai, mettons qu'elles dépensent le fric aux mauvais endroits. Mettons...

Pourquoi c'est permis, alors?

Je regardais aller le ministre François Blais, pendant son bras de fer avec la CSDM, et la réponse me semble évidente: c'est utile en tabarslak pour un ministre de l'Éducation d'avoir des commissions scolaires à blâmer!

Le Québec a eu son premier ministère de l'Éducation en 1964. L'Ontario? En 1876. Avant ça, l'éducation québécoise, c'était pour les nantis et les chanceux; les autres allaient travailler avec leurs bras pour scier du bois ou porter des seaux d'eau. C'est caricatural, mais le résultat net c'est qu'avant la Révolution tranquille, le Québec était juste devant le Portugal - dernier de classe en Occident - au chapitre de la scolarisation.

Ça fait donc 50 ans que les Québécois ont commencé à comprendre que l'école, c'est important. On a compris plus tard que les autres. Ça laisse des traces, ça, dans l'imaginaire d'un peuple. Une de ces traces, c'est de ne pas être furieux quand nos gouvernants maltraitent l'École.

Mais comment être furieux contre nos gouvernants quand 5% des Québécois citent l'éducation comme leur priorité(2)? Nos gouvernants sont le reflet de ce que nous sommes, gang. Leurs priorités reflètent les nôtres.

Tout ça pour dire que je parle à des profs depuis quelques semaines, des profs qui me racontent ce qui se passe dans leurs écoles, dans leurs classes. Je vous donne quelques nouvelles du front, la semaine prochaine.

(1) http://ici.radio-canada.ca/regions/quebec/2015/02/04/002-reforme-scolaire-echec-secondaire-etude-universitelaval.shtml

(2) Sondage CROP-Radio-Canada présenté pendant la campagne électorale de 2014. Les trois priorités de l'électorat: santé (35%), économie et emploi (24%), finances publiques (12%).

Pour joindre notre chroniqueur: plagace@lapresse.ca