La mort d'Alain Magloire fait l'objet ces jours-ci d'une enquête du coroner qui décortique méthodiquement la séquence des événements qui a culminé avec la mort du sans-abri sous les balles des policiers, il y a un an.

Ces deux dernières semaines, les policiers impliqués ont témoigné. Les prochains témoins seront entendus début mars. Des documents - bandes audio et vidéo, par exemple - sont produits en preuve.

Le mandat du coroner Luc Malouin vise à «examiner la question des interventions d'urgence faites auprès de personnes chez qui on soupçonne la présence de problèmes de santé mentale». Le coroner formulera vraisemblablement des recommandations, après les audiences.

C'est une enquête importante parce qu'Alain Magloire et deux autres sans-abri sont morts au cours d'interventions de la police de Montréal, ces dernières années. Dans un contexte où le nombre de sans-abri à Montréal semble avoir crû de façon importante, depuis une dizaine d'années, ce n'est pas un luxe.

Alain Magloire était en proie à la détresse, le 3 février 2014, quand les policiers qui le poursuivaient à pied l'ont finalement abattu, devant la gare d'autocars, rue Berri.

Je dis qu'il était en proie à la détresse. C'est voulu. Ce n'était pas une tête brûlée, un criminel d'habitude qui était encerclé par les policiers, ce matin-là.

Alain Magloire avait beau brandir un marteau, il avait beau avoir blessé un employé d'hôtel, il avait beau avoir tenté de frapper une policière avec ce marteau, il avait beau avoir dit «Je m'en fous, qu'ils me tirent» à un col bleu qui tentait de le raisonner, Alain Magloire était malade. C'est la maladie mentale qui l'avait poussé à la rue, lui qui avait été parfaitement fonctionnel jusqu'à tout récemment.

Bref, Alain Magloire était un sans-abri comme tant d'autres qui déambulent dans le centre-ville de Montréal, le jour, en attendant de pouvoir se trouver une chambre dans l'un des refuges du secteur, le soir.

Ça, c'est ce qu'on sait maintenant, maintenant que l'histoire tragique de M. Magloire est connue.

Mais ce matin-là, pour les trois policiers, M. Magloire est un homme menaçant qui tient une arme, qui s'en est servi violemment, qui refuse d'obtempérer et qui tente de leur échapper. C'est pourquoi les trois agents ont tous dégainé et le tiennent en joue.

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Les travaux du coroner se sont jusqu'ici penchés sur le travail des policiers. Jusqu'ici, sur la base des témoignages et des preuves déposées, je n'ai pas du tout l'impression d'agents partis à la chasse au sans-abri à la gâchette facile.

Je sais que des spécialistes de la question de l'itinérance seront appelés à témoigner à la reprise des travaux, en mars. C'est une excellente chose, parce qu'on aurait tort de réduire la mort d'Alain Magloire à une simple question technique, celle des gestes à poser - ou pas - par les policiers quand ils sont confrontés à des personnes en détresse et violentes.

On ne sait pas combien de sans-abri compte le centre-ville, le secteur où est concentré l'essentiel des ressources qui leur sont proposées. On le saura plus tard cette année. Mais de visu, c'est clair: leur nombre est important, il est fort probablement en croissance. Parmi eux, on compte beaucoup de personnes qui, comme Alain Magloire, ont des problèmes de santé mentale.

Résultat: le centre-ville de Montréal a des allures d'hôpital psychiatrique à ciel ouvert. Les heurts entre ces citoyens en détresse et le reste de l'écosystème urbain, dont la police, sont donc inévitables. Ce n'est ni normal ni souhaitable.

Réduire la mort d'Alain Magloire au seul aspect de l'intervention policière, c'est balayer sous le tapis la complexité du cocktail santé mentale et itinérance.

C'est faire abstraction de l'accès aux soins. Des difficultés, immenses, d'accéder à un vrai logement quand on est dans la rue. De la difficulté à forcer quelqu'un à accepter des soins. Du manque d'appui aux familles des personnes comme Alain Magloire qui, dans la descente aux enfers du malade, sont souvent sans ressources, épuisées et mises en face d'un choix déchirant: couler avec l'être aimé ou le laisser couler.

Il y a une chose que le coroner ne pourra pas explorer, et c'est notre indifférence collective face au cocktail santé mentale et itinérance. Si nous étions sincèrement scandalisés par le filet de sécurité troué et balkanisé chargé de rattraper les Alain Magloire de ce monde, il ne serait pas troué et balkanisé.