Cher Pierre Karl,

D'abord, vous dire une chose, à propos de Denis Lessard, chef de bureau de La Presse à Québec: Denis est un journaliste teigneux, pas reposant. On dit que la ténacité de Denis le pousse parfois à poursuivre un politicien jusqu'au petit coin pour obtenir une réaction. Les politiciennes ont donc au moins une zone de refuge, face aux questions de cette machine à scoops. Et encore...

La différence entre vous et moi, c'est que je trouve que c'est admirable. Le journalisme est la recherche du portrait réel d'une situation. Parfois, cela signifie qu'il faut laisser ses bonnes manières au vestiaire; parfois, ça signifie qu'il faut être créatif pour réussir à parler à quelqu'un.

Denis vous a talonné dans les escaliers de l'Assemblée nationale pour vous parler? Vous avez dit à Denis que vous pourriez appeler la sécurité, pour ça. Et vous ne lui avez pas parlé.

Denis vous a contacté sur votre cellulaire personnel, pour vous parler? Vous avez crié sur Denis, selon sa version, ce que vous n'avez pas démenti hier dans vos mises au point. Et vous ne lui avez pas parlé.

J'ai fait mon éducation journalistique au Journal de Montréal. Et ce genre de comportement que vous reprochez à Denis, c'est exactement ce qu'on m'a enseigné. On m'a enseigné que le journalisme est une activité parfois teigneuse, qui condamne à écraser quelques orteils et des règles de bienséance. C'était même valorisé.

Tenez, je me souviens, il y a quelques années, un journaliste de TVA est allé sonner à la guérite du domaine de Sagard, propriété de feu Paul Desmarais, patriarche de la famille propriétaire de ce journal. Le reporter voulait une entrevue avec M. Desmarais, il échangeait avec son majordome par l'interphone. J'ai souri devant la manoeuvre: des fois, il faut être impoli, dans ce métier. Tenez, à ce sujet, mentionnez mon nom à Sam Hamad...

Mais je m'égare. Le résultat de votre refus de parler à Lessard, c'est que votre version n'était pas dans le texte cosigné par Martin Croteau, publié hier dans La Presse. Dans ce texte, on lit que vous avez dit à de jeunes militants péquistes, vendredi dernier: «Le Bloc québécois, j'ai toujours eu un problème avec ça.» Ainsi que: «Le Bloc ne sert strictement à rien, sauf à justifier le fédéralisme.»

Nos journalistes ont eu vent de ce que vous avez dit. Ils ont parlé à des gens qui étaient dans la salle. Et les versions colligées étaient synchro: vous avez eu des propos lapidaires sur le Bloc...

Puis, lundi, bang, ça sort. Controverse politique. Je vous laisse gérer ça, ce n'est pas ce dont je veux vous parler.

Je veux vous parler de colère.

Je lis votre page Facebook avec minutie: vous vous en servez à satiété. Vous en profitez très souvent pour répondre à vos critiques, en détail. C'est rafraîchissant, je le dis sans sarcasme. Mais je note quelque chose d'indéfinissable, qui me fascine: on sent la colère derrière votre prose.

Et je lis le texte de Denis, où il écrit que vous avez pris le coche quand il vous a appelé. Encore là, quelque chose comme une colère qui n'est jamais loin de la surface, qui bouillonne.

Et hier après-midi, vous avez envoyé un tweet, où vous avez demandé à Denis de cesser de le harceler. On imagine votre ras-le-bol, au moment d'appuyer sur SEND...

Vous avez toujours été un parfait gentleman, les fois où je vous ai croisé. Non, ce que je dis, c'est que la colère et un accès direct aux médias sociaux forment un mélange hautement explosif. Ça va finir par vous péter au visage.

La réalité, c'est que vous êtes aujourd'hui davantage sous la loupe des médias que vous ne l'avez jamais été. PDG de Québecor, vous étiez médiatisé, mais de façon hyper-contrôlée, selon vos propres termes. Désolé, mais comme député, comme pourrait le dire un personnage des Jeunes loups, «la game vient de changer». Et vous ne la contrôlez plus de A à Z.

Quant à Denis Lessard, vous pouvez le tancer publiquement si ça vous chante. Mais je vous conseille de crier plus fort, il est aux toilettes, calepin à la main, en train de traquer son prochain scoop, loin, très loin de Twitter et de Facebook.