Il y a quelques semaines, j'ai commis une chronique méchante sur deux enquêteurs de la Sûreté du Québec (SQ) qui m'ont monté un scénario digne de l'inspecteur Gadget pour m'inciter à parler de mes sources dans une enquête de La Presse publiée en 2012. Une partie de pêche dont j'étais le poisson.

Je n'ai pas mordu et je vous ai raconté la scène, sur deux pages, anecdote qui symbolise parfaitement comment l'État cautionne la traque des sources journalistiques, sous couvert de fallacieuses malversations criminelles. Je disais ce que les journalistes partout en Occident disent, de mille façons: sans sources journalistiques, il n'y a pas de journalisme digne de ce nom.

Je concluais la chronique en vous disant que l'enquêteur Michel Comeau m'avait menacé d'accusations criminelles d'entrave au travail des policiers si je m'avisais de parler de cette rencontre. Eh bien, j'en ai parlé, je vous en ai parlé ici et je suis heureux de vous rapporter que je n'ai pas encore été arrêté.

Peut-être que lui et son partner ne lisent La Presse que de façon épisodique. Peut-être que leur boss Mario Smith leur a dit d'aller faire du radar à Amqui. On verra.

Dans la foulée de cette chronique, la ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, a été interpellée à l'Assemblée nationale sur la conduite des enquêteurs de la SQ envers un humble travailleur de l'information. Mme Thériault a reçu une volée de bois vert de la Fédération professionnelle des journalistes (FPJQ) quand elle a dit que si quelqu'un - moi - est insatisfait du travail des policiers, il y a toujours moyen de déposer une plainte en déontologie policière...

J'ai parlé à Mme Thériault. Je comprends la position difficile dans laquelle elle se trouve: ministre en titre, elle ne peut pas critiquer la SQ dans le cadre d'une enquête en cours.

L'entrevue s'est déroulée avant la nomination du nouveau DG de la SQ, Martin Prud'homme, ancien sous-ministre à la Sécurité publique. Mais Mme Thériault m'a dit ceci, après m'avoir rappelé son passé de propriétaire d'un journal dans l'est de Montréal: «J'attends que le nouveau DG soit en poste pour revoir les choses. N'importe qui qui lira notre entrevue va comprendre: oui, ils devront changer leurs techniques d'enquête. À la SQ, le DG va revoir ça, les relations entre les journalistes et la police, ça me semble d'une évidence, sans que j'aie à le demander.»

Voilà. C'est dit.

Est-ce que je retiens mon souffle? Pas tellement. J'attends de voir, même si j'ai senti une ouverture de Mme Thériault. Le premier ministre Philippe Couillard a promis, en campagne électorale, de faire de son gouvernement le plus transparent de l'Histoire. J'attends de voir. Mais un contrôle accru de l'information est la norme, partout en Occident; la transparence en général et la destruction des obstacles mis dans les pattes des journalistes ne sont pas la norme.

Un exemple: la Loi québécoise sur l'accès aux documents publics est une farce sinistre, un outil qui permet aux organismes gouvernementaux - Hydro-Québec étant le pire récidiviste en la matière - et aux entreprises privées d'invoquer toutes sortes de prétextes pour cacher des informations aux Québécois. C'est une ignominie bien commode pour un gouvernement. Quand les gens ne savent pas grand-chose, on peut leur raconter n'importe quoi.

Ajoutez à cela une police, la SQ, qui est très près du pouvoir politique, qui n'en est pas à une première traque des sources journalistiques, et c'est une situation quasi idéale pour un gouvernement, qu'il soit péquiste ou libéral, du point de vue du contrôle de l'information.

Comme journaliste, je ne demande pas d'être au-dessus des lois, et mes collègues non plus. Mais la relation entre les journalistes et des sources qui désirent témoigner confidentiellement est une relation privilégiée qui est à la base d'une presse libre. Si la police provinciale traite un journaliste comme elle traite un dealer de coke dans un bar dans l'espoir de le pousser à dénoncer le caïd qui lui fournit son stock, ça veut dire que l'État se fiche d'une presse libre.

Edwy Plenel, journaliste d'enquête français qui sera au congrès de la FPJQ en novembre, a cette formule toute simple, dans son essai Le droit de savoir: «Un journaliste fait donc son travail quand il apprend au public ce qui lui échappe, ce qu'on ne voudrait pas qu'il sache, ce qu'on lui dissimule ou qu'on lui cache, ce qui lui est méconnu, bref tout ce qui ne ressort pas de la communication, d'où qu'elle vienne.»

C'est simple, c'est limpide. Mais je pense que c'est exactement le genre de chose simple et limpide qui effraie le gouvernement, quel qu'il soit.