C'est l'histoire d'un concierge qui voit une voiture de patrouille brûler un feu rouge, devant l'école où il travaille. Baveux (de son propre aveu), le concierge lance alors au policier qui tient le volant: «Heille, mon chum, t'es passé sur un feu rouge sans tes gyrophares!»

C'était la semaine dernière, devant l'école primaire au Pied-de-la-Montagne, sur le Plateau Mont-Royal.

Le flic au volant fait alors demi-tour. Descend de sa voiture de patrouille. Le concierge, Carl Cadieux, a raconté la suite à mon collègue Stéphane Berthomet du Journal de Montréal: «T'as dit quoi, mon crisse de baveux? Tu vas fermer ta gueule, j'étais sur un call important.»

Première question à laquelle le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) devra bien répondre un jour: si ce «call» était si important, pourquoi le policier a-t-il choisi d'arrêter sa route pour parler à un citoyen?

Réflexe du XXIe siècle, M. Cadieux a alors sorti son cellulaire pour immortaliser la scène. Le policier serait sorti de ses gonds, semble-t-il. Paf! plaqué contre l'auto, arrêté pour «intimidation de policier».

Une prof de l'école, Nadia Lessard, était là, sur le trottoir. Elle voit M. Cadieux se faire malmener. Et elle décide de s'interposer. Elle proteste vivement auprès du policier. Et elle lui touche le bras.

Je ne dirai pas que Mme Lessard a bien fait. La dernière chose à faire quand on assiste à une intervention policière - même si celle-ci ressemble à une agression -, c'est de tenter de s'interposer entre le policier et une personne que ledit policier tente d'immobiliser.

Mais est-ce que ça vaut un coup de poing à la gorge? Est-ce que ça vaut le gaz-poivre? Ce sont mes deuxième et troisième questions au SPVM.

Mme Lessard se fait embarquer. M. Cadieux aussi. Dans la cour d'école, c'est évidemment la consternation. Un parent, David Miller, témoin de la scène, dira que l'intervention était excessive.

M. Cadieux a été relâché sans accusation. Mme Lessard a été relâchée sur promesse de comparaître pour entrave au travail d'un policier.

Quatrième question: si M. Cadieux a «intimidé» un policier, pourquoi a-t-il été relâché sans avoir vu un enquêteur? Peut-être qu'il n'y avait pas matière à l'accuser. Question 4 a): Pourquoi les menottes, alors?

Ce qui me trouble le plus dans l'affaire de l'école au Pied-de-la-Montagne, c'est que ce qui provoque le demi-tour des policiers est, d'un point de vue de sécurité publique, totalement anodin.

M. Cadieux a été baveux? Soit. La dernière fois que j'ai vérifié, ce n'était pas une infraction au Code criminel. Pourquoi faire demi-tour pour ça?

Il m'apparaît que c'est un cas rêvé pour la police. Il y avait dans la cour d'école des tas de témoins qui ont assisté à la scène. Pour un enquêteur, c'est du bonbon: tu interroges les témoins séparément, tu compares les versions et avec les points concordants, tu peux commencer à brosser un tableau pas mal exact de ce qui s'est passé.

Reste à voir si le SPVM veut voir ce tableau. On parle de «rencontrer» la directrice de l'école. Avec Stéfanie Trudeau, l'infâme «matricule 728» qui a agressé des «gratteux de guitare» (sur le même Plateau), le SPVM n'a pas pu se mettre la tête dans le sable: les images disaient tout de la bêtise qui animait ce soir-là la célèbre agente Trudeau, incapable de gérer un simple citoyen qui avait commis le «crime» de tenir une bière dans sa main alors qu'il ouvrait la porte de son appartement, sur le trottoir.

L'un des policiers impliqués dans l'arrestation musclée d'un concierge armé d'une grande gueule et d'une prof armée de sa main s'appelle Dimitri Harris, matricule 2538. Il est du même poste 38 que la matricule 728.

Le Devoir nous a appris samedi un truc inquiétant. En 2011, vers 2h du matin, Marie Larocque grille une cigarette aux abords de la salle de spectacle où elle organisait un événement. Elle jette son mégot par terre.

Deux agents foncent sur elle. On la traite, dit-elle, de pollueuse. On lui dit qu'il y aura constat d'infraction. Faites, dit Mme Larocque, pressée. Elle n'a pas ses cartes d'identité. Elle monte chercher ses cartes d'identité...

Et ça dégénère. Ça finit avec Mme Larocque qui se fait faire une prise de soumission, devant le bar de la salle, devant une assistance médusée.

La dame a été acquittée d'une accusation de voies de fait. Le juge a déterminé que les versions des deux policiers étaient confuses. Elle poursuit le SPVM au civil.

Le policier qui a fini par faire une clé de bras à cette dangereuse fumeuse? Dimitri Harris, matricule 2538 du poste 38. Le même que celui de l'intervention désastreuse de l'école au Pied-de-la-Montagne.

Ici encore, même escalade qui semble aussi inutile que dans le cas de la prof Nadia Lessard et du concierge Carl Cadieux. Ici encore, d'un point de vue de sécurité publique, tout commence par quelque chose de tout à fait anodin...

Matricule 2538, matricule 728: tous deux du poste 38, tous deux catapultés dans les nouvelles pour des interventions qui ne devraient pas déraper quand on a deux cennes de jugeote.

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