Chaque fois qu'un loser parano sort son arme automatique pour tuer plusieurs de ses semblables, l'internet se remet à faire circuler un extrait du Dr Park Dietz dans l'émission britannique Newswipe, qui fait une analyse critique des médias.

Et mercredi soir, avec ce fou qui a tué trois policiers à Moncton, le topo de Newswipe diffusé en 2009 s'est remis à circuler.

On y voit le Dr Dietz qui dit exactement ce que les médias ne devraient pas faire, quand ils couvrent un massacre commis par un loser parano.

N'ouvrez pas les bulletins de d'information avec des images et des sons de gyrophares policiers. Ne publiez pas les images du tueur. Ne donnez pas à un tel massacre une couverture en continu, infographies-chocs à l'appui, trame sonore martiale en prime. N'ouvrez pas les bulletins avec le nombre de morts.

J'ai joint le Dr Dietz, hier soir, à son bureau californien. Il était au courant du cas du tueur de Moncton et j'étais curieux de l'entendre sur cette affaire: ses célèbres prescriptions relayées à la télé britannique concernaient les cas où un tueur a été arrêté ou abattu.

«Le cas de Moncton est différent, m'a-t-il dit d'entrée de jeu. Il est encore en fuite. Le public doit donc savoir à quoi il ressemble. Mais après, quand il aura été tué ou arrêté? Non. Cette photo de lui avec ses armes ne doit plus être diffusée.»

Le Dr Dietz ausculte la psyché des fous depuis des décennies. Il a témoigné au procès de John Hinckley Jr, qui a tenté d'assassiner le président Reagan en 1981. Il a interviewé les auteurs de tueries capturés après des suicides ratés. Il a fait une «autopsie psychologique» des tueurs de Columbine pour le compte du ministère public local.

Depuis les années 80, il critique la couverture médiatique de ces crimes spectaculaires. Pour lui, ça ne fait pas de doute: la couverture de ces événements plante des graines dans l'esprit tordu d'imitateurs potentiels.

«Ces criminels que j'ai interviewés, ceux qui ont commis des tueries, avaient tous été impressionnés par un autre crime du genre. Quand on décortique les gestes de ceux qui ont perpétré des tueries et qui se sont suicidés, on découvre qu'ils avaient pris des notes sur leurs prédécesseurs.»

OK. Et si vous étiez chef des nouvelles, là, devant diriger la couverture journalistique de Moncton, doc? Vous leur diriez quoi?

«Premièrement, laissez de côté tout ce qui suscite l'excitation émotionnelle [emotional arousal]. Pour les médias électroniques, ça veut dire ne pas montrer de corps transportés d'une scène de crime. Pas d'images des premiers répondants arrivant sur la scène, d'images de gens fuyant la scène. Ce sont des images intéressantes... Mais qui n'apportent rien à l'information.

«Deuxièmement, pas de photos avantageuses, glamour ou sexy du tueur. Montrez-le sous son pire jour. Montrez-le mort, s'il le faut. Oui! Mort.

«Troisièmement, il faut "régionaliser" l'information. En 1982, quelqu'un a mis du poison dans des flacons de Tylenol. Et il y a eu, jusqu'en 1986, des tas d'imitateurs partout aux États-Unis. Une façon d'endiguer le phénomène d'imitation a été d'inciter les agences de presse à ne plus envoyer ces nouvelles sur le fil d'actualité national.»

Le psychiatre pose la question: pourquoi les gens de Baltimore ou de Paris doivent-ils être exposés à des bulletins d'information sur le fou de Moncton?

«Que les gens intéressés s'y intéressent, soit. Mon but: limiter l'exposition accidentelle du public à ces histoires. Dans chaque public, vous avez 10% de dépressifs; 20% ont des signes suicidaires, 1% sont paranos et 15% ont des armes.

«Parmi ceux qui ont toutes ces caractéristiques, quel pourcentage pensera, en voyant le gars de Moncton: «Je peux faire encore mieux» ? Ma thèse, c'est que plus on diffuse à un grand nombre de gens, plus le pourcentage de fous augmente. En plus, ça garantit un imitateur.»

Je signale au Dr Dietz que ses thèses ne sont pas validées par des études scientifiques dûment publiées dans des journaux savants. Il en convient. Je me base, dit-il, sur 30 ans d'entrevues avec des fous, d'analyses de drames dont les auteurs se sont suicidés.

Au bout du fil, il revient à cette photo du tueur de Moncton...

«Je n'aime pas cette photo. Cette photo va faire des dommages. Il est trop beau, trop Rambo. Combien de jeunes fous vont voir cette photo et penseront: «Il est cool!» ?»

Et, Dr Dietz, les médias vous écoutent-ils? Est-ce que les couvertures s'améliorent?

- Pas tellement. Les médias s'abstiennent de couvrir les suicides dans le métro, par exemple, à cause de l'effet d'entraînement. Dans les massacres, les médias prétendent qu'il ne s'agit pas de cas de suicides, qu'il s'agit de quelque chose comme un désastre naturel...

- Pourquoi, vous pensez?

- Ils ont peur de perdre des parts de marché.