Quand le ministre des Transports (libéral) Robert Poëti a su que le PDG (péquiste) Nicolas Girard de l'Agence métropolitaine des transports (AMT) avait appelé la police au sujet de son prédécesseur (libéral) Joël Gauthier, il lui a dit une chose: «Félicitations.»

Pas de farces. C'est le ministre lui-même qui me l'a dit, hier.

J'avais fait savoir au bureau de M. Poëti que j'allais écrire sur le statut (incertain, selon plusieurs personnes) de M. Girard à la tête de l'AMT. Je voulais savoir si l'enquête criminelle ciblant Joël Gauthier changeait quoi que ce soit au sort de M. Girard.

Petit rappel: M. Girard a été député péquiste de 2004 à 2012. Battu dans Gouin quand son parti a été élu, il a été nommé PDG de l'AMT. Son prédécesseur Joël Gauthier est libéral comme M. Girard est péquiste, sans avoir été député (il fut DG du Parti libéral de 1998 à 2003, date à laquelle il fut nommé à l'AMT).

Bref, avec le changement de régime à Québec, M. Girard pouvait s'attendre à périr comme il avait été nommé à l'AMT: par un diktat politique.

Puis est arrivée l'affaire Gauthier. La police a Joël Gauthier dans sa ligne de mire, le soupçonne de fraude, entre autres, pendant ses années à l'AMT. Les déclarations sous serment de la police sont claires: c'est M. Girard lui-même qui a mis en branle à l'AMT une vérification de la gestion de son prédécesseur, sur la foi d'informations de certains vice-présidents. Cela a mené à un appel aux policiers anticorruption.

C'est ce qui m'a poussé à faire signe au cabinet de M. Poëti, hier. Je m'attendais à une réponse laconique d'une attachée de presse. Dring, dring: c'est le ministre lui-même qui était au bout du fil...

«Pour moi, dans le quotidien, les opinions politiques des personnes n'ont pas d'importance», m'a-t-il juré, au sujet du passé péquiste de M. Girard, répétant qu'il n'a «pas de mandat» pour évincer M. Girard de l'AMT.

Quand il a su que c'est le PDG lui-même qui avait appelé la police, non seulement Robert Poëti a félicité M. Girard, mais il lui a dit, en plus: «Si vous trouvez d'autres dossiers qui peuvent être de la collusion ou de la corruption, appelez l'UPAC.»

- Et le fait que M. Girard ait pris contact avec la police, ça vous dit quoi sur lui?

- Qu'il voulait connaître la boîte qu'il allait diriger. Quand il s'agit de collusion, il faut bouger. Il a pris la bonne décision.

Voilà, c'est dit.

Quand Nicolas Girard a fait l'état des lieux dans l'épineux dossier du système léger sur rail (SLR) du pont Champlain, le ministre Poëti a aimé ce qu'il a entendu. «On est donc descendus ensemble pour le point de presse. Il était content. J'étais content.»

M. Gauthier n'a pas été accusé et les allégations de la police n'ont pas été prouvées en cour. Mais mis au parfum de possibles irrégularités, Nicolas Girard a été synchro avec ce que demande l'époque. Il a agi.

Je suis content de voir que M. Poëti applaudit un tel geste, au mépris des considérations bêtement partisanes.

Talons tueurs de données

Ce passage de la déclaration sous serment de la police au sujet de Joël Gauthier a frappé - pardonnez le jeu de mots - l'imaginaire...

Selon sa secrétaire de l'époque, Joël Gauthier lui aurait demandé de détruire son téléphone intelligent BlackBerry à coups de talon. Talon, comme dans «talons hauts»...

La manoeuvre a fait sourire: tout le monde sait que détruire un téléphone intelligent ne détruit pas ses données!

Il y a ces serveurs, il y a ces ordinateurs qui relaient ou synchronisent les données contenues sur un téléphone intelligent. Vouloir «tuer» des données à coups de talon, peut-on penser, relève de la pensée magique...

C'est vrai. Mais ce n'est pas totalement vrai.

Sur les téléphones intelligents BlackBerry, on retrouve la messagerie PIN, pour personal identification number, ou numéro d'identification personnelle.

Les PIN ont longtemps eu dans le monde des affaires une réputation d'inviolabilité. Parce que les messages relayés par PIN ne transitent pas par les serveurs des entreprises des correspondants. Ils laissent donc moins de traces qu'une messagerie «normale».

Je sais que Joël Gauthier - comme bien d'autres acteurs du monde de la politique, du journalisme ou des affaires - communiquait par PIN avec certains de ses correspondants.

L'un de ceux-là: Tony Tomassi, l'ex-ministre libéral (tombé en disgrâce depuis).

Joël Gauthier m'a dit qu'il rencontrait M. Tomassi parce que celui-ci était membre d'un comité parlementaire sur les transports. Soit.

Mais pourquoi communiquer par PIN avec un parlementaire, plutôt que par un courriel «normal» ? M. Gauthier n'a pas répondu à cette question. Et M. Tomassi ne m'a pas rappelé.

Communiquer par PIN n'est pas le signe d'une activité illicite. Vouloir détruire le téléphone contenant des PIN non plus.

Je me demande juste pourquoi la police a jugé bon de mentionner cette destruction de téléphone intelligent par chaussure de secrétaire si cela n'a pas été utile à son enquête.

Bon, je n'ai plus de place. On parlera de ski demain, alors...