Des prête-noms, du cash et un parti politique. Trois choses qui ne devraient pas orbiter autour du PDG de l'Agence métropolitaine de transport. Et qui sont pourtant présentes dans la déclaration assermentée de l'escouade Marteau à l'appui d'une perquisition visant le règne de Joël Gauthier à la tête de cette société publique, de 2003 à 2012.

Commençons par le cash.

Page 6 de la déclaration signée par l'enquêteur Michel Vadeboncoeur: le policier raconte le témoignage de Michel Fortier, employé de l'AMT aux Affaires juridiques et corporatives. En 2008, confie M. Fortier à la police, Joël Gauthier lui demande de contribuer au PLQ, pour la ministre Christine Saint-Pierre.

«Devant son refus, écrit le policier Vadeboncoeur, Joël Gauthier a demandé si l'épouse de M. Fortier pouvait donner. M. Fortier a alors remis un chèque personnel de son épouse d'une somme de 3000$...»

Le PDG Gauthier aurait alors remis 3000$ cash à son employé Fortier, en guise de remboursement.

C'est un stratagème de financement illégal des partis politiques cent fois évoqué dans des enquêtes journalistiques, ces dernières années et chez la juge Charbonneau, plus récemment.

La différence, c'est que cette fois-ci, ce n'est pas un VP d'une firme de génie qui est visé comme responsable de cette manoeuvre. C'est un ex-DG du Parti libéral du Québec, nommé à l'AMT quand Jean Charest a pris le pouvoir, en 2003.

Si les allégations de la police sont prouvées en cour, cela voudrait dire que Joël Gauthier aidait illégalement le PLQ à se financer alors qu'il dirigeait une société publique. Ce serait évidemment consternant.



Allégations



J'ai été en contact avec Joël Gauthier, cette semaine. Plus tôt ce printemps, j'ai obtenu des courriels envoyés à - et par - M. Gauthier du temps qu'il était PDG de l'AMT. Ces documents ont provoqué des vérifications sur sa gestion. Sans le savoir, les infos dont je disposais recoupaient certains filons exploités par l'escouade Marteau.

Par courriel (il est hors du pays), M. Gauthier a été catégorique, jeudi: «Je n'ai participé à aucune activité du PLQ depuis le 5 novembre 2003. J'ai démissionné comme membre du PLQ à cette date et n'ai plus fait aucune contribution politique depuis cette date, pas plus que participé à quelque activité partisane.»

Les allégations de l'escouade Marteau contredisent cette affirmation. J'ai voulu en savoir plus, hier: j'ai relancé M. Gauthier par courriel. Pas de réponse.

Quand M. Gauthier a reçu mes questions, je ne savais pas ce que contenait la déclaration assermentée de l'escouade Marteau. Je n'avais pas entendu parler de l'histoire du chèque de l'épouse de M. Fortier. Mais «cash» et «Joël Gauthier» étaient liés dans une autre histoire.

Ce qu'on m'a raconté ce printemps? M. Gauthier donnait parfois des enveloppes contenant de l'argent comptant à son adjointe, Sylvie Frénette. Celle-ci allait à la succursale du Vieux-Montréal de la Banque de Montréal pour déposer l'argent dans le compte personnel de son patron.

Pourquoi? J'ai évidemment voulu le savoir. C'était dans la liste des questions envoyées à M. Gauthier. Il a choisi de ne pas répondre, jeudi, aux questions concernant ces dépôts.

Puis, hier, dans les documents de Marteau, je note que ces dépôts sont explicitement mentionnés. À la Banque de Montréal, par son adjointe: des dépôts en cash.

Ne pas laisser de traces



Cette histoire de cash et de Joël Gauthier m'intrigue pour deux raisons.

Primo, dans cette société du «plastique», les occasions de manipuler des sommes d'argent en liquide se raréfient. Je ne comprends pas pourquoi M. Gauthier manipulait ainsi de l'argent comptant, alors qu'il dirige une société publique.

Deuzio, quand un officiel public est mentionné dans une histoire impliquant du cash, je me souviens des mots d'un ex-procureur fédéral américain spécialisé dans les affaires de corruption, Ralph Marra: «Je ne peux pas penser à une seule situation impliquant du comptant qui ne serait pas suspecte, m'avait-il déclaré en 2010. Il n'y a aucune raison de demander du comptant, de payer comptant. Les gens qui utilisent du comptant espèrent une chose: ne pas laisser de traces.»

Enveloppes



Ça, c'est le volet cash. Parlons des chèques, maintenant.

Page 10 de la déclaration, les policiers rapportent le témoignage de Serge Daigle. Ancien de la permanence du PLQ (2003 à 2007), il fut attaché politique de la ministre Line Beauchamp de 2007 à 2012. Extrait:

«Suite aux appels de Joël Gauthier ou de la secrétaire de ce dernier, écrit l'enquêteur Vadeboncoeur, Serge Daigle dit s'être rendu à deux reprises au bureau de Joël Gauthier en 2011 afin d'y récupérer deux enveloppes. Une première enveloppe non cachetée contenait des chèques pour une valeur de 10 000$ à 12 000$ [...] Pour la seconde enveloppe qui était cachetée, elle était pour le financement sectoriel et fut remise à Violette Trépanier ou sa secrétaire...»

M. Daigle a dit aux flics que «selon son souvenir», ces chèques provenaient de bureaux d'ingénieurs ou d'architectes.

Si j'avais pu parler à M. Gauthier, hier, je lui aurais demandé pourquoi il est lié par deux témoins à du financement politique au bénéfice du PLQ, avec du cash et des chèques. Mais il n'a pas répondu à ma demande d'entrevue.

Tout comme il n'avait pas répondu, jeudi, à un tas d'autres questions. Plusieurs d'entre elles touchaient du financement politique pour le PLQ.

Lundi, je vais revenir sur le règne de Joël Gauthier à l'AMT: il sera question de Tony Tomassi. Et de leurs téléphones BlackBerry.

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