Je me souviens du moment précis où j'ai décidé que Gaétan Barrette était un malappris. Non, ce n'est pas quand il a fait sauter la banque en tant que président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Non, ce n'est pas en apprenant qu'il négociait avec l'État en pigeant directement dans un sac de chips.

Pour les hausses de salaire pharaoniques arrachées à l'État, à coups de raccourcis grotesques et de déclarations méprisantes, le Dr Barrette faisait tout simplement sa job. Et sa job, c'était celle d'un lobbyiste.

Le lobbyiste agit toujours dans l'intérêt de ceux qui le paient, jamais dans l'intérêt collectif.

Le lobbyiste exige toujours une tarte plus grosse le poing sur la table. D'habitude, ça se fait discrètement, dans les officines. C'est tout aussi grossier, mais ça paraît moins. La grossièreté du lobbyiste Barrette étant ostentatoire, impossible de la manquer...

Et pour les chips, bon, un homme a le droit de se nourrir comme il le souhaite. M'en fous.

Non, le moment précis où j'ai commencé à trouver Barrette intégralement détestable est survenu le matin du 28 août 2012, vers la fin de la campagne électorale où il était candidat de la CAQ. Ce matin-là, Barrette était en débat chez Paul Arcand avec une autre star santé, le candidat du PQ Réjean Hébert.

Paul aiguille donc les candidats sur la question de la fin de vie. Il évoque l'histoire d'une femme dont le mari de 77 ans est à l'agonie. Elle y voit un cas d'acharnement médical.

Hébert répond en premier. Insiste sur l'importance d'avaliser les conclusions de la commission Mourir dans la dignité. Dit que selon lui, ce que la dame raconte ressemble à de l'acharnement thérapeutique. Le dit avec des gants blancs qui tiennent des pincettes.

Barrette enchaîne. Et la première chose qui sort de sa bouche, c'est une taloche à Hébert!

«Je suis un peu traumatisé, comme médecin. Je ne peux pas juger du cas que vous me présentez parce qu'on ne le connaît pas en détail, un futur ministre ne peut pas arriver et porter des jugements comme ça au micro...»

Moi aussi, j'étais traumatisé. Par Barrette.

Sur une question qui avait toujours réussi à flotter au-dessus de la logique partisane, Barrette arrivait avec ses gros sabots et accusait Hébert - à mots couverts - de faire un diagnostic à distance, pour faire des trous dans la crédibilité de son adversaire.

Bref, même sur cette délicate question de la fin de vie, le candidat Barrette argumentait comme un lobbyiste, à coups de pelle.

C'est là que j'ai haï Barrette. Et j'ai été bien content de le voir se faire enfoncer son sentiment de supériorité divin bien creux dans l'oesophage, dans Terrebonne, où il a mangé une volée aux mains d'un poids léger du PQ...

Quand le PLQ a annoncé que Barrette était son homme dans La Pinière, j'ai été surpris, mais j'ai trouvé que c'était conséquent avec la nature grossière du personnage. Ce transfuge-là, il y a à peine 18 mois, conchiait bruyamment le Parti libéral, notamment EN MAJUSCULES, sur Twitter.

Et là, arrive ce scrutin de 2014. Et il se déclare libéral! Un mois après avoir juré de ne pas être candidat!

En expliquant sa conversion, Barrette est d'une condescendance épouvantable, telle celle qu'on réserve à ceux qui croient que la Terre est plate...

Je le sais, j'ai reçu le Dr Barrette à l'émission que je coanime à Télé-Québec, hier. Son impatience devant mes questions était palpable.

Il ne voit aucune contradiction, il n'éprouve aucune gêne à se joindre à un parti qu'il vilipendait il y a un an et demi. C'est l'univers qui ne comprend pas, voyez-vous...

Ce qui m'a frappé dans cette entrevue, c'est ce qui m'a frappé dans les autres sorties publiques du grand homme: il ne tolère d'aucune façon la critique et les questions.

C'est normal, au fond: Barrette est un super génie de la médecine, un grand spécialiste. Peut-être n'est-il pas habitué à être défié, questionné, talonné.

Mais quand tu diriges un ministère aussi complexe que celui de la Santé, tu dois travailler en équipe. Contrairement à la gestion de ton département hospitalier, contrairement à tes diktats de lobbyiste, tu ne pourras tout imposer d'autorité.

Il va falloir que tu cajoles, que tu convainques.

Il va falloir que tu réconcilies des intérêts divergents.

Il va falloir que tu ménages des susceptibilités.

Il va falloir que tu crées des alliances. Tsé, parfois même avec des gens que t'as traités de paresseux quand t'étais lobbyiste, genre ces simples mortels de la médecine que sont les omnipraticiens...

Si Gaétan Barrette est capable de faire ça, il n'en a pas donné d'indices dans le passé.

Si Gaétan Barrette est capable d'être autre chose qu'une brute, je suis un sac de Doritos.