Rue Jean-Talon, il fait un froid à plonger un ours polaire en hypothermie, et un sans-abri habillé pour la météo de juillet quête avec un peu trop de zèle. Au point que des citoyens appellent le 9-1-1.

On ne sait pas ce qui se dit tout de suite après l'arrivée des flics. On sait seulement ce qui se dit sur la bande vidéo, tournée par un passant. On sait seulement comment le monologue de l'agent prend fin.

Et ce que dit l'agent du Service de police de la Ville de Montréal n'est pas très élégant. S'il y a un autre appel pour son comportement au 9-1-1, lui dit le flic, il y aura des conséquences...

«Regarde-moi dans les yeux. Je te le jure, je te le jure que je vais t'attacher au poteau pendant une heure...»

Depuis deux jours, la scène scandalise Twitter et Facebook. Même le maire Denis Coderre a ajouté son grain de sel, informant les médias que ce qu'il avait entendu dans cette vidéo était « inacceptable ».

Puis-je apporter un bémol?

(Et c'est ici que je me penche, pour éviter les tomates que vous êtes déjà en train de me lancer...)

Le bémol, donc.

Ce qu'on a vu dans cette vidéo, c'est la fabrication de la saucisse. Selon le vieil adage, vaut mieux ne pas savoir comment on fait de la saucisse. Paraît que ce n'est pas beau à voir. Paraît que ça enlève l'envie d'en manger, de la saucisse.

Et ici, on voit un flic faire de la saucisse policière. C'est pas toujours beau, la saucisse policière, c'est pas toujours poli, c'est pas toujours fabriqué à coup de « s'il vous plaît » et de « pourriez-vous »...

C'est ce qu'on voit ici. On voit un flic essayer de convaincre un poqué de la vie de cesser un comportement qui est nocif pour lui-même, d'abord et avant tout. Rentre au chaud. Pis arrête d'achaler le monde, sinon je vais me fâcher.

Lui a-t-il offert d'aller le reconduire dans un refuge ? C'est ce qu'affirme le SPVM. C'est ce que ne nous montre pas la vidéo, qui n'a clairement pas filmé le début de l'intervention.

Ce flic, il tente d'obtenir un résultat. Ce résultat, c'est de pousser le sans-abri au chaud et de faire cesser un comportement qui effraie des passants. Pour le flic, à ce moment-là, ce qui compte, c'est le résultat.

Mais là, tout ce qu'on retient, c'est la fabrication de la saucisse policière. Et comme j'ai dit, la fabrication de la saucisse, ce n'est pas toujours joli, en boucherie comme en police, en journalisme comme en politique.

J'aimerais souligner que le flic n'a pas fracassé la tête de ce pauvre hère sur le hood de sa voiture de patrouille en lui passant les menottes.

Il n'a pas fait ce que tant de flics font, par ailleurs: lui coller un ticket pour flânage, qui ne fait que judiciariser les plus poqués d'entre nous.

Il ne l'a pas attaché, non plus, audit poteau...

Il y a d'excellentes raisons de critiquer le travail policier, celui du SPVM ou d'agents individuels. Je l'ai fait dans le passé.

Ici, un policier qui fait faire un vol plané à une jeune fille qui tombe tête première sur un support à vélo.

Là, des arrestations de masse dans un Printemps érable dont l'État ne veut surtout pas faire le bilan policier.

Mais dans le cas du policier de la rue Jean-Talon, tout ce que je vois, c'est un flic qui essaie d'obtenir un résultat. En essayant d'adapter son niveau de langage et ses métaphores à un être humain qui, de toute évidence, n'est pas tout à fait «là».

Je regardais Denis Coderre dire que les propos du policier étaient inacceptables. Je ne le blâme pas. C'est le maire, et si on lui fout des micros sous le nez, il va jouer la grande comédie des relations publiques et il va dire la seule chose possible: inacceptable. Essayez de faire de la nuance dans un clip pour la tivi, vous...

Et pendant qu'on parle de saucisse, pendant qu'on se déchire la chemise, on oublie le véritable scandale.

Pourquoi tous ces poqués dans la ville, épaves qu'on laisse à la dérive et dont on se contre-crisse?

Dans la scène de la rue Jean-Talon, on peut voir le pauvre sans-abri qui se fait picosser par un flic méchant. Je vois plutôt un homme qui souffre de maladie mentale et qui ne devrait pas se trouver dans la rue, par -1000°, habillé pour aller au Festival de jazz.

Et s'il est là, c'est pas la faute de la police.

Évidemment, la santé mentale, c'est complexe. C'est multifactoriel, ça touche autant le budget de l'État que le mal de vivre.

Ça fait de moins bonnes vidéos avec ton iPhone, de moins bons tweets, de moins bonnes manchettes, de moins bonnes clips à la tivi.