C'était samedi dernier, sur ce tronçon de la rue Jean-Talon qu'on appelle «Le petit Maghreb», à cause de la concentration d'immigrants maghrébins qui y habitent et des commerces qu'ils y ont ouverts. Amir Khadir y faisait campagne.

Le député était avec Geneviève Fortier-Moreau, la candidate de Québec solidaire à la partielle du 9 décembre dans Viau. Scènes de campagne classique: on entre dans les cafés, on parle aux gens, on serre des mains.

Si la vue d'une femme voilée vous fait faire la danse du bacon, ce tronçon de la rue Jean-Talon n'est pas fait pour vous. Il y en a autant que des hipsters à grosses lunettes dans le Mile End...

Justement, en déplacement entre les cafés du coin, Khadir, Fortier-Moreau et l'attaché de presse David Dubois abordent une dame voilée pour jaser de cette élection.

C'est à ce moment qu'un jeune homme, «un barbu», dit Khadir, s'est interposé. Il s'est mis à engueuler le député de Mercier, violemment.

«Il me traitait d'hypocrite. Il n'aime pas mes prises de position sur le voile islamique...»

Québec solidaire voit le voile comme un signe régressif, mais refuse de l'exclure de la sphère publique. Ni obligation ni interdiction: c'est la position de QS. À laquelle adhère Khadir.

«Mais, dit le député avec un sourire en coin, je prends position de façon plus ostentatoire que Françoise [David, coporte-parole de QS] sur le voile...»

D'où ce barbu qui lui cherchait des poux, sur le trottoir. La chose est connue, chez les barbus de Montréal: Khadir n'est pas un fan du hijab. «J'ai déjà eu des prises de bec, par exemple au Forum musulman canadien, où cette position m'a été reprochée.»

Mais ce coup-là, sur ce trottoir-là, en ce samedi de novembre, ce jeune barbu-là démontrait une hargne qu'Amir Khadir avait rarement constatée ici.

«Je tirais sur le bras d'Amir pour lui signifier que ça ne servait à rien de tenter de discuter avec lui», se souvient David Dubois.

Le trio de solidaires s'en est allé. Khadir, Fortier-Moreau et Dubois sont entrés dans un café bondé. Le barbu les y a suivis, avec un autre type, qui s'est lui aussi mis à engueuler les solidaires, parfois en arabe. La scène a causé une commotion dans le café.

«Amir tentait encore de leur expliquer des choses. Mais ils lui criaient dessus, dit David Dubois. Ils le traitaient de raciste, d'hypocrite, parce qu'Amir n'appuie pas le port du voile. Leur discours était hyper-identitaire.»

Jeudi, en me racontant cet épisode dans un café du quartier, en compagnie d'Habib Kazdaghli, universitaire tunisien menacé par les fondamentalistes, en visite au Québec, Amir Khadir s'étonnait encore de la virulence de ces deux barbus.

«Oui, ça m'a surpris. Il avait une telle rage. Ce qui est terrible, dans ce débat sur la Charte: il crée un terreau d'hostilité ouverte. Moi, un député, on m'intimide, malgré ce statut de député. Imagine quelqu'un de la communauté...»

Les deux barbus ont fini par quitter le café. David Dubois n'a pas ressenti le besoin d'appeler les flics, au plus fort de la confrontation. «Mais je ne suis pas habitué à cette proximité physique.»

Ce qui réjouit Amir Khadir, c'est qu'après l'esclandre, le trio de QS a reçu plusieurs témoignages de citoyens du coin qui s'excusaient du comportement des deux «drama queens» à barbe.

L'ironie, c'est bien sûr qu'Amir Khadir est vu en certains cercles comme un allié objectif des barbus fondamentalistes. On oublie que sa famille a fui l'Iran des mollahs et, justement, que les barbus d'ici ne sont pas dans le fan-club du député de Mercier. «Dans ce débat polarisé sur la Charte, QS est mis dans une position suspecte, comme si nous favorisions le fondamentalisme.»

Le fondamentalisme, dit Khadir, est galvanisé par ce débat sur la Charte, qui n'est au fond qu'un débat sur l'Islam en général et sur la place du voile en particulier. Les barbus ont de l'espace pour dire aux musulmans de Montréal que le Québec n'aime pas l'Islam, ces jours-ci...

C'est bien beau, dire que les musulmans doivent s'intégrer dans la société d'accueil, mais il ne faudrait pas oublier que les immigrants du Maghreb sont en moyenne plus diplômés que le Québécois moyen. Ils sont pourtant surreprésentés dans les statistiques de chômage.

Khadir tape sur ce clou dans l'entrevue. C'est le noeud de son message.

«Assécher le terreau du fondamentalisme, c'est compliqué. Il faudrait faire une place plus grande aux gens de cette communauté dans l'emploi. Pour ça, il faudrait que les syndicats s'y mettent, il faudrait des ententes dans la fonction publique. Ça coûterait de l'argent. C'est plus simple de monter le voile en épingle. Interdire le voile, ça ne peut pas être le seul remède.»

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