Au bout du fil, Guillaume Tremblay, candidat à la mairie de Mascouche, est furieux. «C'est totalement faux! Je n'ai jamais reçu une cenne de lui!»

«Lui», c'est Normand Trudel, un entrepreneur en construction qui a longtemps fait la pluie et le beau temps à Mascouche, notamment grâce à sa proximité avec l'ancien maire déchu Richard Marcotte.

Et si le mot «cenne» est évoqué, c'est que Normand Trudel a pris contact avec moi pour me dire que, le 25 septembre 2007, il a remis une enveloppe de 5000$ cash à M. Tremblay, alors que ce dernier était un jeune conseiller municipal qui reluquait le poste de député du coin.

«M. Trudel veut nuire à ma campagne», peste Guillaume Tremblay, qu'on dit bien placé pour devenir maire de Mascouche, dimanche prochain. «J'ai toujours condamné les gestes malsains en politique, y compris les siens.»

Normand Trudel, quant à lui, n'en démord pas. Le 25 septembre 2007, au bureau de son entreprise - Transport et Excavation Mascouche -, il a remis une enveloppe de 5000$ à M. Tremblay.

«En coupures de 100$, dans une enveloppe. La couleur de l'enveloppe? Blanche, je crois! Très sincèrement, c'était une avance. Mais j'aurais gagé mille piasses qu'il ne me les remettrait pas», m'a dit Normand Trudel, en entrevue.

- Pourquoi parler aujourd'hui, M. Trudel?

- Quand tout se passe bien, m'a répondu M. Trudel, qu'il n'y a pas de bitchage, on peut passer à côté de ça. Mais j'ai vu Guillaume Tremblay dire à LCN qu'il est intègre, qu'il n'a jamais pris d'enveloppe de personne, lui. Mon couvercle a débarqué!

Ces 5000$ que M. Trudel jure avoir donnés à M. Tremblay constituent une information explosive à Mascouche, en pleine campagne électorale. À Mascouche, ville entachée par des magouilles révélées en 2010, cette campagne se déroule sous le signe de l'éthique et de la probité.

Retour dans le temps. En 2012, d'abord: après des enquêtes journalistiques, notamment de La Presse et de Radio-Canada, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) arrête 15 personnes dans une affaire de partage de contrats municipaux qui impliquent des officiels municipaux et des entrepreneurs en construction. Cas classique.

Parmi ceux qui sont épinglés: le maire Richard Marcotte, l'ex-DG Luc Tremblay, l'incontournable Tony Accurso et M. Trudel lui-même. Les procès viendront prochainement.

Avant ces scandales, Mascouche n'était qu'une petite ville quasi inconnue, en bordure de l'autoroute 25. Personne hors de Mascouche n'aurait pu identifier le maire Richard Marcotte et encore moins le jeune conseiller municipal Guillaume Tremblay.

À l'époque, M. Tremblay travaillait donc au conseil municipal. Et il ambitionnait de devenir candidat du Parti québécois (PQ) dans Masson aux élections provinciales suivantes, qui pouvaient survenir n'importe quand: le Parti libéral du Québec de Jean Charest était minoritaire depuis le scrutin de mars 2007.

Masson, fief péquiste, était tombé dans le giron de l'Action démocratique. Luc Thériault, député battu, était le candidat logique pour reprendre le flambeau péquiste. C'était sans compter l'énergie et la fougue de Guillaume Tremblay, qui, cet automne-là, s'est mis à vendre des cartes de membres du PQ à la pochetée...

«À la suite de discussions avec Richard Marcotte et quelques amis, [Guillaume] avait décidé d'entrer en communication avec moi pour me demander si je pouvais lui donner un coup de main, étant donné que j'étais, à l'époque, bien vu au PQ», m'a écrit Normand Trudel, quand il m'a joint pour me raconter cette «avance» de 5000$.

En 2010, j'ai fait cette révélation dans La Presse: Guillaume Tremblay et Normand Trudel avaient déjà été suffisamment proches, en 2007, pour aller ensemble, dans le bureau du DG du PQ, faire des représentations au sujet de l'investiture dans Masson.

C'était après un reportage d'Enquête dans lequel M. Tremblay disait du mal de l'entrepreneur. À l'époque, M. Tremblay a nié cette information. Il la nie toujours.

J'ai pourtant deux sources - quelqu'un qui était à la réunion, d'abord; M. Trudel, ensuite - qui disent le contraire. Je maintiens donc ceci: avant que M. Trudel ne devienne radioactif à Mascouche, M. Tremblay n'hésitait pas à se montrer avec l'entrepreneur.

M. Trudel dit avoir fait pression sur le PQ pour que l'investiture dans Masson soit reportée à février 2008.

Ce report dans le temps était vital pour Guillaume Tremblay: un nouveau membre ne pouvait voter si l'investiture avait lieu dans les trois mois suivant son recrutement.

L'investiture a en effet été reportée au 23 février 2008. «Après au moins deux rencontres [avec le PQ] et plusieurs appels téléphoniques», selon M. Trudel.

Les 1100 membres péquistes recrutés par ce jeune politicien dynamique ont fait la différence: Guillaume Tremblay a remporté le droit d'être le candidat du PQ dans Masson, devant l'ancien député Luc Thériault (son principal opposant à la mairie, aujourd'hui).

Aujourd'hui, Guillaume Tremblay se dit victime d'une vendetta de Normand Trudel - qui le poursuit par ailleurs en diffamation - parce qu'il a osé dénoncer une de ses entreprises, Écolosol, et son fameux contrat de déneigement des bornes d'incendie mascouchoises.

M. Tremblay affirme n'avoir rencontré Normand Trudel que «deux fois, gros maximum», en septembre 2007, alors qu'il tentait de recruter de nouveaux membres.

M. Trudel a une histoire différente: «Nous avons continué à travailler ensemble, nous nous rencontrions très souvent à mon bureau pour faire le point.»

J'ai demandé à M. Trudel ses relevés de téléphone cellulaire, pour les mois de septembre et octobre 2007. Entre le 17 septembre et le 11 octobre, il a appelé le portable de Guillaume Tremblay 14 fois. Cela exclut, m'a-t-il fait savoir, les appels de son bureau.

M. Tremblay m'a dit ne plus avoir ses relevés de téléphone de l'époque. Il m'a dit avoir parlé «une quinzaine de fois» à M. Trudel au téléphone.

- Qui appelait qui?

- Bonne question, je ne m'en souviens pas.

Après le report de l'investiture, Normand Trudel dit que Guillaume Tremblay «a commencé à [lui] parler de financement». Le jeune politicien «avait des «bénévoles» qui travaillaient très fort avec lui, des étudiants et des travailleurs à temps partiel»... «Et il m'a demandé de l'aider.»

C'est alors que Normand Trudel a accepté de lui avancer ces 5000$. Réplique de M. Tremblay: «J'ai dépensé 800$ de façon honnête, le PQ a les documents.»

Pour le Directeur général des élections, c'est clair: aucune règle n'empêchait en 2007 un candidat à l'investiture d'un parti, pour une élection de circonscription, d'accepter ainsi de l'argent cash pour sa campagne. «Pas très cohérent avec l'esprit de la loi, mais légal», selon son porte-parole, Denis Dion.

Pourquoi faire écho à cette affirmation explosive de Normand Trudel?

Parce que Mascouche en est venue à symboliser un certain système de copinage entre élus et hommes d'affaires, parce que Normand Trudel est accusé d'en avoir été un des rouages et qu'il fait cette révélation à propos du candidat Guillaume Tremblay à visage découvert.

Tout ce que je sais de M. Tremblay, c'est qu'il m'a affirmé en 2010 n'avoir jamais, au grand jamais, assisté à une rencontre au QG du PQ en compagnie de Normand Trudel.

Or, je sais que, là-dessus, sources à l'appui, M. Tremblay ne m'a pas dit la vérité. Cela suppose, à cette époque, une relation plus étroite avec M. Trudel que ne souhaite l'admettre aujourd'hui M. Tremblay.

Je ne sais pas si Guillaume Tremblay a accepté cette enveloppe contenant 5000$: je n'étais pas dans le bureau de Normand Trudel, le 25 septembre 2007. Selon la version de M. Trudel, ils étaient seuls.

Comme si souvent, dans ces histoires d'enveloppes, c'est la parole de l'un contre la parole de l'autre.

Photo David Boily, archives La Presse

Normand Trudel