Martin Ouellet et Mélanie Castonguay sont assis à la table de leur cuisine, dans Ahuntsic. Ils m'expliquent leur vie depuis qu'ils ont appris que Léonie, leur fille de 21 mois, est atteinte du syndrome FOX G1.

FOX G1 anéantit le tonus musculaire, cause des retards moteurs et empêche le développement du langage. Entre autres.

Le jeune couple raconte le choc, le deuil qui vous frappe quand vous apprenez que votre enfant ne sera jamais en santé. Jamais comme les autres.

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Si vous êtes comme la moyenne des ours, un citoyen ordinaire, probablement qu'une ou deux fois par année, vous devez vous battre avec la bureaucratie. C'est fâchant, mais votre combat contre l'absurdité est temporaire.

Mais si vous êtes les parents de Léonie, c'est chaque jour que vous devez vous battre avec la machine. Ça veut dire multiplier les appels pour avoir des services, prendre contact avec le député pour sonner les cloches des fonctionnaires, faire des plaintes, envoyer des lettres, rappeler le bureau du député, du patron du CLSC...

Être parent d'un enfant handicapé, c'est se battre chaque jour. Ce dossier dans La Presse+, c'est le récit de ces combats que mènent Martin et Mélanie pour Léonie.

Quand on cartographie ces combats - pour obtenir un rendez-vous avec un spécialiste, une déduction fiscale, une vignette pour handicapés, une subvention, etc. - , le résultat final ressemble bizarrement à une planche du jeu pour enfants de serpents et échelles.

Le bureau du député réussit à convaincre le CLSC qu'il faut vous donner un service de répit jusque-là refusé : échelle, vous montez.

La personne envoyée par le CLSC pour vous permettre de sortir de la maison pendant trois heures ne connaît rien à la réalité de Léonie. En fait elle connaît la réalité des personnes âgées : serpent, vous dégringolez.

Telle est la vie de Martin et de Mélanie, depuis près de deux ans.

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« Tiens, regarde... »

Mélanie ouvre son agenda. Un mois, au hasard. Elle note tout : les démarches, les demandes de rendez-vous, les réponses à ces demandes, ce qui s'est dit aux rendez-vous, les personnes jointes, le moment où il faut rappeler.

Pour gérer les besoins de Léonie, et pour se démener dans ce jeu de serpents et échelles qu'est sa vie, Mélanie a cessé de travailler. Pas le choix.

- Comment vous faites ?

- Je ne sais pas, dit Mélanie.

- L'instinct de survie ? risque Martin, en guise de réponse. C'est notre vie, maintenant.

Lisez à propos des aléas de la vie de Léonie

Vous voulez du répit?

Comme nouvelle maman, Mélanie avait droit à un programme du CLSC: trois heures de répit par semaine. Puis, la petite a reçu son diagnostic de syndrome de FOX G31. Et le CLSC a arrêté les trois heures de répit.

- Pour vous en donner plus?

- Non, pour n'en donner plus pantoute!

Puisque Mélanie est mère d'une enfant handicapée, son besoin pour du répit est devenu plus aigu. Mais quand on est handicapé, on tombe sur un autre programme, celui des TED/DI. Pour ça, pas de répit. Qu'une enveloppe de 500 à 2500$ pour embaucher une gardienne.

Mélanie et Martin ont eu 500$. Pour l'année.

«À 16$ l'heure, on ne va pas loin, dit Mélanie. Calcule-le comme tu veux.»

J'ai calculé. Avec 500$, c'est 11 plages de trois heures de répit. Après, eh bien, après, y a rien.

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Le parking

Les parents de Léonie ont obtenu une vignette pour handicapés de la SAAQ. Martin s'est ensuite adressé à la Ville de Montréal pour qu'on délimite, dans leur rue, un stationnement pour handicapés.

Ça n'allait pas être aussi facile qu'à la SAAQ. Martin raconte la conversation avec le fonctionnaire:

- Le rapport de l'ergothérapeute a été jugé suffisant par la SAAQ.

- Mais ce n'est pas écrit, dans le rapport, que votre fille est handicapée...

On y trouvait pourtant les mots «hypotonie sévère». Traduction: Léonie ne peut se tenir debout. Apparemment, les fonctionnaires montréalais n'ont pas accès à Google...

À la fin du mois de novembre, Martin a envoyé un deuxième rapport d'ergo à la Ville, une semaine avant la réunion des élus qui se penchent sur ce genre de chose... En janvier, a décrété le fonctionnaire. Mais en janvier, pas de réunion, pour cause de congé des Fêtes! Puis, le fonctionnaire a perdu le rapport.

Martin et Mélanie ont obtenu leur stationnement en... mai. Affaire réglée? À moitié! Martin: «Les voisins se stationnaient dans notre espace!»

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L'argent

Vous le savez: si vous devez 1000$ à l'État, il peut être assez combatif pour les récupérer rapidement. Ceux qui ont eu affaire au ministère du Revenu peuvent vous montrer les marques de crocs sur leur mollet.

Justement, la Régie des rentes devait à Martin et à Mélanie autour de 1000$, cinq mois de prestations rétroactives pour la garde d'un enfant handicapé.

Martin ne fait pas 50 000$ par année. Mélanie a dû cesser de travailler pour s'occuper de Léonie. Chaque visite à l'hôpital doit coûter 20$ de parking. Bref, ces 1000$, ils y tenaient.

Réponse de la Régie: nous sommes débordés, vous allez recevoir ces 1000$ dans... quatre mois.

Se battre, encore.

Le bureau de circonscription de Maka Kotto, leur député, a fait des appels et pu parlementer avec la Régie.

Le chèque de 1000$ a été envoyé.

Se battre, toujours.

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La maison

Léonie est encore petite. Même si sa poussette pèse 50 livres, ça se gère. Malgré les quatre marches de l'escalier, devant l'appart.

«Mais on va faire comment, demande Mélanie, dans deux, trois ans?» Il faudra déménager. Dans un logement adapté. Soit un plain-pied, soit une maison avec rampe pour fauteuil roulant, ou encore avec un ascenseur. Et, à l'intérieur, des cadres de portes élargis. Il y a de l'aide gouvernementale: 16 000$ pour un logement locatif; 32 000$ pour une maison. Utiliser la subvention dans un loyer est hasardeux: si le proprio désire reprendre son appart, vous êtes cuit. «On a décidé qu'il valait mieux acheter une maison, dit Martin. La banque me prête 200 000$. Impossible d'acheter une maison à Montréal avec 200 000$. On a décidé d'acheter à Repentigny.» Sauf que si Martin et Mélanie déménagent à Repentigny, Léonie n'aura plus droit aux services d'experts médicaux dont elle bénéficie à Montréal. Elle devra recevoir ces services dans Lanaudière, après une attente de... trois ans.

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L'argent, encore

Pour acheter une maison adaptée aux besoins d'une enfant lourdement handicapée, il faudra de l'argent. Comment?

Martin et Mélanie sont imaginatifs. En utilisant les médias sociaux avec brio, ils ont organisé des collectes de fonds, vendu des objets identifiés à la cause de Léonie (toutous, calendriers)... Somme amassée: 15 000$. Somme idéale, pour acheter une maison adaptée à Montréal: 150 000$.

Évidemment, organiser des activités de financement, par-dessus toute la logistique nécessaire aux soins de Léonie, c'est comme un job à temps partiel par-dessus un job à temps plein.

«Mais on n'a pas le choix, soupire Mélanie. Sinon, on va être pris ici.»

«Ici», c'est dans ce petit logement qui sera bientôt trop petit et mal adapté pour quand Léonie grandira.

Pour plus de détails: https: //www.pourleonie.com/

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Le quotidien

Avoir un enfant handicapé, c'est gérer une logistique complexe. J'ai évoqué précédemment tous les problèmes avec la bureaucratie. Voici la liste de ce qui n'est pas du tracas bureaucratique, que du tracas tout court. C'est ce tracas qu'il faut gérer en se battant contre les bureaucraties.

 - Les crises d'épilepsie de Léonie.

 - Les hospitalisations.

 - Le stress des besoins immenses et des revenus limités.

 - Les rendez-vous chez l'ergothérapeute, le pédiatre, le neurologue, le physiothérapeute, la nutritionniste...

 - La gestion des émotions, du deuil, du choc.

C'est Mélanie, surtout, qui tient le fort de la logistique à la maison. C'est son job, au fond. Martin a pris deux semaines de congé pour donner un répit à sa blonde. Le jour où il est reparti au travail, il a dit à Mélanie: «Je m'en vais me reposer.» Ce n'était pas une blague. «Le travail, c'est un exutoire. C'est là que je décroche.»

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L'amour

Des fois, dans leur entourage, il y a des gens qui disent à Martin et à Mélanie qu'ils devraient «placer» Léonie.

Mélanie serre les lèvres.

«C'est la chose la plus blessante au monde. Un coup de couteau au coeur. On va mettre une chose au clair: Léonie, ce n'est pas elle qui nous donne du trouble. C'est tout ce qu'il y a autour. Le manque d'argent. Les besoins qui augmentent. Le jugement de la société. Les problèmes avec le gouvernement.»

Martin: «On aime notre fille, on l'aime plus que tout. Si on pouvait, on ne la retournerait pas au magasin.»