Il y a eu des critiques en certains quartiers contre tout le secteur Opinion de cette grande usine de production d'info qu'est La Presse. Nous sommes tous, a-t-on maugréé, contre la Charte des valeurs québécoises. À ceux-là, je n'ai qu'une seule chose à dire...

Vous avez raison!

À la suggestion de Cassivi - parce que Marc a toujours cet esprit de contradiction qui le caractérise encore davantage que sa belle tignasse bouclée -, on s'est dit que pour ce débat-là, contrairement aux autres, on se mettrait en gang pour pourfendre la Charte portée par Bernard Drainville...

Chroniqueurs et éditorialistes, on s'est donc entendus sur ce qu'il fallait dire et surtout sur ce qu'il ne fallait pas dire. Car nous savons ce qui est bon pour les masses.

Tout allait bien. Nous lavions magnifiquement bien le cerveau collectif des Québécois, qui boivent nos opinions, comme chacun le sait, sans rechigner.

Jusqu'à hier!

Hier, Foglia est sorti pour appuyer la Charte des valeurs québécoises, brisant notre belle unanimité et, surtout, notre beau plan de contrôle des idées.

Rima est allée déposer un vélo brisé dans son lit en guise d'avertissement.

Je déconne. Il n'y a pas de complot.

Pour le printemps érable, nous étions comme le reste du Québec, divisés. Il y a même eu des messages subliminaux destinés à des collègues dans certaines chroniques. C'est vous dire à quel point nous étions pompés.

Je ne sais pas pourquoi ce coup-ci, à La Presse, nous sommes à peu près tous viscéralement opposés à cette charte des valeurs québécoises.

C'est comme ça. Préféreriez-vous que nos boss en obligent un ou deux à écrire qu'il est contre la Charte?

Je suis contre la Charte parce qu'à la base, je ne crois pas que les problèmes d'accommodements qui mettent périodiquement le feu aux manchettes médiatiques trahissent un véritable problème de vivre-ensemble. À la base, c'est ça.

Des chocs culturels attribuables à une immigration nouvelle qui - contrairement aux immigrations haïtiennes, portugaises, grecques ou italiennes du passé - ne vénère pas une version ou une autre de la Bible? You bet.

Je suis contre cette version-là d'une charte des valeurs québécoises. Je suis contre le titre, même. J'aurais voulu une charte de la laïcité. Qui aurait prôné une véritable laïcité, pour tous.

Mais si ça peut vous faire plaisir, je vais écrire un bout de chronique, une opinion-fiction, où je l'appuierais, la Charte.

Ça se lirait comme suit...

«Dieu que je suis content aujourd'hui! Cette charte de la laïcité est surprenante de courage politique.

«J'étais certain que le Parti québécois nous réservait une charte qui prônerait une forme de catho-laïcité. C'est-à-dire la laïcité pour les "autres", ceux qui sont issus de communautés qui ne vénèrent pas le p'tit Jésus, notre berger traditionnel...

«Et pourtant, non.

«On ne pourra pas accuser le ministre Bernard Drainville de vouloir ménager le segment «de souche» de l'électorat québécois. Avec cette charte de la laïcité, le gouvernement Marois veut un État véritablement neutre.

«Décrocher le crucifix de l'enceinte de l'Assemblée nationale pour l'accrocher dans un des couloirs de l'immeuble? C'est courageux. Je souris: le dernier débat que verra le Christ sur la croix, derrière le président de l'Assemblée, portera sur la laïcité.

«Interdire toute forme de prière ou de moment de réflexion avant des conseils municipaux? Du courage, encore. On sait bien que là où ces prières défrayaient la manchette, c'est surtout au p'tit Jésus qu'on demandait d'éclairer les délibérations des élus.

«Là où Bernard Drainville m'a étonné, c'est en prônant la laïcité fiscale de l'État québécois. L'article 204 de la Loi sur la fiscalité municipale, qui permettait aux lieux de culte de ne pas payer de taxes foncières (municipales ou scolaires), serait ainsi aboli.

«Ça veut dire que les églises chrétiennes, les synagogues juives, les temples hindous et les mosquées musulmanes vont devoir payer leur juste part. Évidemment, cette mesure touche principalement l'Église catholique, "notre" religion, celle d'une majorité de l'électorat.

«Juste à Montréal, c'est 1,2 milliard de dollars que les 726 lieux de culte devront payer en taxes.

«Je ne suis pas très à l'aise avec le fait que les fonctionnaires de l'État devront larguer leurs signes religieux apparents, comme des kippas, des crucifix (même discrets), des hijabs ou des turbans. On verra si cette disposition survit au test des tribunaux.

«Mais ce malaise est atténué parce que la Charte de Bernard Drainville refuse de favoriser subtilement (ou pas) la religion catholique, sous le mauvais prétexte patrimonial.

«Le gouvernement Marois a envoyé un signal clair: l'État ne favorise aucune religion, ni même celle de la majorité de ceux qu'il représente. Au risque que cela lui coûte des votes dans son électorat traditionnel.

«Bravo, M. Drainville. J'appuie la Charte.»