Notre chroniqueur Patrick Lagacé a concocté une série estivale composée d'une douzaine de tranches de vie, autant d'histoires en marge de l'actualité brûlante. Toutes les chroniques commenceront par la formule des contes pour enfants,

«Il était une fois...» Première tranche de vie: un poème de Kim, 10 ans.

Il était une fois une fillette qui se fit demander par un journaliste en quoi consistait une «image poétique». Imagine la neige qui fond, lui suggéra la fillette.

«On pourrait dire, plutôt que juste dire que la neige fond, que le soleil dévore la neige, lance-t-elle avec le sérieux de l'océanographe expliquant à un profane les raisons de la bioluminescence du plancton. Une image poétique, c'est quelque chose d'imaginaire qui décrit quelque chose de réel.»

Alors voilà, Kim Laberge a 10 ans et elle écrit des poèmes.

Elle a commencé à les écrire à l'école Val-des-Ormes de Rosemère, où elle vient de finir sa 4e année. Kim était dans la classe de Christine Girard et dans cette école - de celles qu'on dit «internationales» -, on apprend par modules.

La poésie était un de ces modules, ce qui est salement ironique, parce que «module» est probablement un des plus affreux mots au monde, un mot-Guantanamo, un mot à emprisonner. Dans la cellule d'à côté: «scélérat», «pharynx» et «intervenante»...

Quand j'ai lancé un appel à tous pour cette série de chroniques estivales sur le thème d'«Il était une fois...», Huguette Girard a parfaitement compris ce que je cherchais. C'est-à-dire des histoires sans aucun rapport avec l'Actualité avec un grand A. Lisez, m'a-t-elle écrit, le poème de ma petite-fille, Kim...

C'était là,

Là devant moi

La porte de la tristesse

Qui renferme beaucoup de

sagesse

En l'ouvrant,

Je vois de mauvais souvenirs.

En les regardant,

J'ai le goût de partir...

En l'ouvrant,

Je vois de mauvais souvenirs.

Je vois le passé,

Je vois maman pleurer...

En l'ouvrant,

Je vois de mauvais souvenirs,

Ma grand-mère dans un

cercueil,

C'est le jour de faire mon

deuil...

C'était là,

Là devant moi

La porte de la tristesse

Qui renferme toutes mes peines

Ça s'appelle Les portes de la tristesse et je décrète que c'est très joli.

***

En se faisant filmer pour La Presse+, Kim bougonnait (à l'imparfait ou non, le verbe bougonner est sous-utilisé, avouez-le) en souriant, dans sa classe: «Mais avec mes dents, j'ai l'air d'un lapin!»

(Il faudrait dire lapine, bien sûr, Kim étant une fille. Mais qui dit lapine, sérieux?)

C'est que ses dents de lait (les prémolaires, je crois, mot que je n'ai jamais utilisé en chronique avant aujourd'hui), venaient de tomber, faisant de Kim Laberge, 10 ans, le lapin le plus adorable de tout le 450-Nord...

Ta grand-mère est morte, Kim?

«Non, pas vraiment ma grand-mère, m'explique-t-elle: c'est mon arrière-grand-mère, en fait; la grand-mère de ma mère, Berthe. Je la considérais comme ma grand-mère...»

Mais je m'éloigne, il faut parler du module poésie de l'école Val-des-Ormes. Quand l'enseignante a annoncé à sa classe de 4e qu'on allait étudier la poésie, la réaction de Kim n'a pas été très différente de celles de ses camarades...

La poésie? BEURK!

«Je trouvais ça long et ennuyeux», dit Kim.

Pour le module, donc, les élèves de Mme Girard - Félix, Mikael, Mathis, Sarah-Maude, Béatrice, Flavie, Lauryn, Élie et les autres - ont vu les vers, les émotions, ils ont étudié des poètes, ils en ont écrit, ils en ont lu...

Kim dit que ce qui l'a gagnée, ce qui l'a fait passer de BEURK à WOW, c'est quand elle a vu «qu'on peut exprimer des émotions», dans les poèmes...

Je ne sais pas si c'est vrai. J'ai plutôt l'impression que Kim a découvert (attention, Kim, c'est une image poétique qui s'en vient) cette drogue dure: le plaisir de gosser avec les mots.

T'as 10 ans. T'es en 4e année. Depuis des années, quand il s'agit des mots, tu bûches. Pas le choix: c'est ça, apprendre. Les conjugaisons, les pièges (squelette, un ou deux «l» ?), les dictées, un (pas une) avion...

Puis, un jour, quand tu écris, tu commences à trouver ça l'fun. T'aimes ça, et pas seulement car ça devient moins difficile. T'aimes ça pour la même raison que t'aimes lancer des pucks de hockey dans un but...

T'écris même dans ta tête, même quand t'es pas dans l'acte d'écrire lui-même. Tu découvres que tu aimes que les autres aiment ça, te lire.

Ça peut te tomber dessus n'importe quand. Moi, ce fut à 11-12 ans. D'autres, à 30 ans. On dirait que ça arrive à Kim à 10 ans...

C'est ce qui me touche, dans le poème de Kim. Pas le poème, encore qu'il soit très joli. Ce sont les mots d'une petite fille qui découvre que les mots, ce n'est ni plate ni ennuyeux.

C'est pour ça qu'elle a continué à écrire ses poèmes, malgré la fin du module poésie.

***

Parle-moi des funérailles de ta grand-mère, Kim...

«C'étaient mes premières funérailles, ma première mort, me raconte-t-elle très solennellement. J'ai découvert une nouvelle chose, mais triste. Ça m'a fait quelque chose de la voir dans son cercueil. Avant, j'avais jamais vécu quelque chose de triste comme ça. Tout le monde était triste. Même mon père.»

C'est donc la tristesse qui a inspiré ce poème sur la mort de grand-maman Berthe...

Même quand vous êtes un adorable petit lapin de Blainville qui s'en va en 5e année, il semble que les lois de la poésie soient immuables: la douleur est plus inspirante que le bonheur.