Au pied de la chaîne alimentaire d'une société, il y a ces poqués bien particuliers: les toxicomanes. Quand tu te bats avec la drogue, avec l'alcool - souvent avec les deux -, tu patauges dans un coin particulièrement sombre du caniveau social.

Je ne peux pas penser à beaucoup de misères plus grandes que celles-là.

Être alcoolo, être junkie n'est pas un permis pour ne jamais essayer de s'en sortir. Certains s'en sortent. Ce n'est pas une raison pour extrapoler ces succès à tout le caniveau.

Il y a quelques semaines, je me suis ramassé dans un des centres de thérapie de Portage, celui qui accueille des mères toxicomanes. Elles peuvent suivre leur thérapie sans se séparer de leurs enfants. Du courage qui ne fait pas les manchettes.

C'est à elles que j'ai pensé en tombant sur cette nouvelle de Paul Journet, dans La Presse d'hier: Soutien aux toxicomanes bénéficiaires de l'aide sociale: le PQ serre la vis, criait le titre.

En gros, quand un toxicomane bénéficiaire de l'aide sociale se retrouve dans un centre de thérapie, il touche une petite prime du BS. Plutôt que les 604$ habituels, il touche 733$ pour la durée de sa thérapie. Peu importe la durée de sa thérapie. Et la thérapie est payée.

C'est ça que le gouvernement péquiste n'aime pas. Il trouve que c'est bien long, ces thérapies, et le ministère d'Agnès Maltais, titulaire de l'Emploi et de la Solidarité sociale, se propose de limiter à 90 jours la durée des thérapies payées.

Oui, 90 jours. Après? Après, on ne sait pas trop. Mme Maltais va sans doute nous improviser une réponse comme elle en a improvisé depuis qu'elle explique qu'elle ne fesse pas sur les BS, alors qu'elle fesse sur les BS.

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Le gouvernement libéral avait jonglé avec la même idée, en 2009: il voulait limiter à 183 jours la durée des thérapies des toxicomanes bénéficiaires de l'aide sociale. Paul nous apprenait hier que les libéraux avaient reculé en avouant, par écrit, que cette mesure posait un risque de santé pour les plus vulnérables.

Bref, le gouvernement péquiste (supposément «de gauche») se propose d'être deux fois plus vache, deux fois plus intransigeant que le gouvernement libéral (supposément «de droite») n'ambitionnait de l'être avec les BS les plus poqués!

Parce que c'est bien connu: c'est en désintoxiquant à coups de pied au cul qu'on éloigne l'alcoolo de la bouteille et le junkie de l'aiguille...

Cette nouvelle survient évidemment dans le contexte où le ministère d'Agnès Maltais sort le bâton pour pousser certains bénéficiaires de l'aide sociale à faire un «parcours d'emploi».

Tu ne t'inscris pas à un parcours d'emploi? On te coupe. En substance, c'est ça... Enfin, je pense que c'est ça: Mme Maltais promet une prime de 196$ pour ceux qui participent à un programme d'employabilité. Prime permanente? On ne sait pas! Mme Maltais s'embourbe dans ses explications comme une Lada dans un banc de neige. Et les groupes défendant les pauvres ne sont guère rassurés.

En 1997, Louise Harel, du Parti québécois (PQ), avait sorti le bâton avec certaines clientèles de l'aide sociale. Camil Bouchard, Vivian Labrie et Alain Noël, qui avaient été membres d'un comité externe d'experts sur la réforme de la sécurité du revenu l'année précédente, avaient vertement dénoncé le bâton péquiste, dans une lettre au Devoir.

Ce qui fonctionne en matière de réinsertion d'un bénéficiaire de l'aide sociale sur le marché du travail, écrivaient-ils, c'est la carotte. Pas le bâton. Exemples français, britanniques et danois à l'appui.

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Pousser les BS à travailler? OK. J'en suis. Et pour les jeunes sans enfants, j'applaudis à deux mains.

T'as 18, 19, 20, 21 ans? Tu n'as pas de contrainte notable à l'emploi? Tu penses que le BS est un mode de vie, parce que c'est ainsi que papa, maman et tes grands-parents vivent?

Viens ici, doit dire l'État à ce jeune-là, que je te montre c'est quoi, le travail (et la vie, un peu). Avec eux, la carotte... et un peu de bâton. Beaucoup, s'il le faut. Ceux-là, qu'on les vise, qu'on les entreprenne.

Mais Agnès Maltais aura beau faire de jolis discours à Tout le monde en parle sur la nécessité de casser le cercle vicieux de l'aide sociale qui se transmet de génération en génération, je ne vois pas ces jeunes-là ciblés par sa réforme menée en cachette.

Quand tu cibles l'allocation de contrainte temporaire basée sur l'âge des «vieux» dans la cinquantaine, tu cibles des gens qui approchent de la fin de leur vie de travailleur, difficilement recyclables. Tu ne fais rien pour briser le cercle vicieux générationnel.

Quand tu menaces d'amputer 129$ des prestations d'un couple ayant un enfant de moins de 5 ans, c'est sur la tête de l'enfant que tu vas fort probablement fesser aussi, en visant celles des parents. Tu appauvris les enfants pauvres des plus pauvres.

C'est drôle, en août dernier, le Québec était en campagne électorale. Le forum aurait été parfait pour parler des vues du PQ en matière de pauvreté et de BS. Il n'a rien dit sur ces toxicomanes qui s'extirpent trop lentement du caniveau, rien dit sur les enfants de moins de 5 ans qui nous plongent dans le déficit à grands coups de 129$ par mois...

C'est sûr que dire quoi que ce soit aurait égratigné le vernis social-démocrate du PQ. Déjà qu'un vernis, c'est mince...