À 370 kilomètres au-dessus de la Terre, un sympathique moustachu joue de la guitare et documente sur Twitter sa vie d'astronaute de la 35e expédition de la Station spatiale internationale (SSI). Ce faisant, le Canadien Chris Hadfield est peut-être en train de révolutionner la profession d'astronaute.

Hadfield, 53 ans, premier Canadien à avoir effectué une sortie dans l'espace (en 2001, lors de son deuxième vol dans la navette spatiale américaine Endeavour, arrimée à la SSI), est à des années-lumière de l'idée que je me faisais d'un astronaute.

L'astronaute moderne, à mon sens, est ce quasi-robot hyper cérébral, incolore et d'une discipline tout à fait soviétique dans sa communication avec le public. Se dégage de lui une froideur qui me laissait de glace devant le métier d'astronaute et l'exploration spatiale moderne.

Chris Hadfield, lui, est comme un extraterrestre dans cette confrérie un peu coincée. Il twitte avec une assiduité que ne renierait pas Denis Coderre. Il partage des photos de la planète à couper le souffle, avec en prime des réflexions poético-philosophiques parfois émouvantes. Il raconte avec passion la vie d'astronaute dans la SSI. Son compte Twitter - @Cmdr_Hadfield, 398 788 abonnés - est un des plus vivants de mon fil.

Et Hadfield ne se prend pas au sérieux. Quand un autre célèbre Canadien, William Shatner, lui a demandé s'il  twittait vraiment de l'espace, l'astronaute a répondu à l'ancien capitaine Kirk de Star Trek comme s'il était un lieutenant de l'Enterprise: «Standard Orbit, Sir. Et nous détectons des signes de vie à la surface!»

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La semaine dernière, Hadfield a enregistré une chanson avec le groupe canadien Barenaked Ladies. Lui, dans l'espace; la bande d'Ed Robertson, appuyée par un choeur d'ados, sur Terre. La chanson I.S.S. (Is Someone Singing) est très jolie. Les paroles sont bon enfant et, franchement, Hadfield n'a pas à rougir de ses talents de chanteur et de guitariste...

Pensez-y: un astronaute qui chante et joue de la guitare, là-haut. Si ça ne vous met pas un sourire dans le visage, je ne sais pas ce qui vous mettra un sourire dans le visage.

Je suis un enfant de la navette spatiale américaine. L'espace, pour moi, c'est la navette. Les lancements de Columbia, quand j'avais 10 ans, étaient des événements qui justifiaient l'arrêt des classes pour visionnement télévisuel de masse.

Puis, à force de lancer ces navettes dans le ciel, l'exploration spatiale est devenue... routinière? Est-ce le bon mot? Quelque chose comme ça, en tout cas. Collectivement, l'idée de l'homme en orbite de la Terre a fini par cesser de nous enthousiasmer.

C'est pourtant un véritable tour de force, un monument au génie humain qui n'a rien d'ordinaire ou de routinier. Mais bon, comme tout le monde, j'ai cessé d'être impressionné par ce tour de force.

Chris Hadfield a ravivé mon intérêt de ti-cul pour la chose spatiale. Pas seulement parce qu'il interagit avec les humains ici-bas. Ça, c'est une partie de l'équation. Non, parce que l'humain qui interagit est un type intéressant et intéressé par ses semblables. Le contraire d'un robot. Avoir 10 ans, si je tombais sur la vidéo de sa chanson, si je lisais son fil Twitter, je voudrais être astronaute...

Hadfield a récemment fait un AMA sur le site américain Reddit. AMA signifie Ask Me Anything, Demandez-moi n'importe quoi, rubrique récurrente où des gens célèbres (mais pas toujours) répondent aux questions de la communauté allumée de Reddit. Hadfield a répondu de façon exhaustive, avec introspection et humour.

Souffrez-vous de solitude? «Au centre de villes très peuplées, entourés de millions de personnes, il y a des gens qui souffrent de solitude. Dans la Station, avec le monde à travers la fenêtre, avec notre famille juste au bout du fil et tout le travail à faire, la solitude n'est pas plus problématique ici qu'ailleurs.»

Avez-vous peur? Réponse extrahumble: «Ce n'est pas que nous sommes extrabraves, c'est que nous sommes extrapréparés.»

Pourquoi gaspiller de l'argent sur l'exploration spatiale alors que des gens meurent de faim sur terre? «Dans toutes les sociétés, il doit y avoir un équilibre dans la façon de dépenser notre argent [...]. La clé est de décider quelle est la bonne portion de budget [à consacrer à l'espace] et je crois que les agences spatiales de par le monde ont trouvé cet équilibre. Je sais qu'au Canada, nous travaillons très fort pour bien dépenser cet argent, en créant des produits utiles, en comprenant mieux le monde et la santé humaine, en inspirant la prochaine génération...»

Que redoutez-vous le plus? «Que quelqu'un que je connais et aime se blesse ou meure et que je ne puisse être là et aider.»

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J'assume que je suis complètement pâmé devant cet astronaute chantant, souriant et moustachu. Et je le dis sans cynisme: j'aime l'idée que cet homme qui passe au-dessus de nous 16 fois par jour incarne quelque chose comme ce que le meilleur de l'humanité a à offrir.

Photo : CNW, Université de Waterloo