Il y a plusieurs semaines, la Ville a déposé sur mon balcon un bac brun. Il y est toujours. Je le regarde depuis longtemps, ce bac, sachant qu'il annonçait une collecte des «déchets de table». Mais je n'y croyais pas. J'étais dans le déni. Comme Gérald Tremblay, je me disais, simplement: «C'est pas vrai.»

Comme tout le monde, j'ai dans la tête une sorte de cartographie invisible qui délimite un certain nombre de valeurs. À l'intérieur de ces limites, c'est O.K. En dehors, c'est NON.

Au-delà de ces frontières, il y a mes territoires interdits. En vrac:

Un maillot de bain Speedo.

Occupation double.

Claude Dubois, post-grippe A.

Ces trucs sont dans ma Corée du Nord personnelle, une zone où on ne peut pas aller, sous peine de ne jamais en revenir.

Le compost, c'est en Corée du Nord. C'est dégueulasse, le compost. Ça pue et ça attire les bibittes. J'avais donc décidé de ne pas composter. Le compost, c'est Pyongyang.

Mais les penseurs de l'arrondissement RoPePa* sont de petits malins. Ils savent bien que, sans un coup de pied au cul, le citoyen ne deviendra jamais un citoyen modèle. Alors qu'ont-ils fait? Ils ont réduit la collecte des déchets à un jour par semaine!

C'est bien cela: la collecte du lundi a toujours lieu, mais les éboueurs ne ramassent plus les sacs Glad. Juste le bac brun. Celui du compost. UN jour de collecte des déchets: le jeudi. C'est une méthode déloyale pour pousser le compost, je trouve.

Parlant d'éboueurs, il est assez évident qu'on a trouvé, hier, le mieux payé de tous les éboueurs de Montréal. Je parle de Me Michel Dorval, bien sûr, l'avocat d'Union Montréal. Quand tu humilies devant toute la province un témoin gênant (Martin Dumont) en sortant une histoire de sites XXX qui n'a aucun rapport avec les saloperies d'Union Montréal, eh bien, c'est clair: tu fais du droit-poubelle. C'est un genre.

Mais revenons au compost.

Apparemment, je vais devoir m'autodélivrer un visa pour la Corée du Nord si je ne veux pas crouler sous les ordures. Mais j'ai comme peur de manquer d'espace dans mon bac à compost si je me mets à y engouffrer mes résidus de table. Disons que je rate un lundi, là... ça va s'empiler en pourrissant... Il arrivera quoi?

Ça va déborder!

Vous me voyez venir?

Ce sera comme un coffre-fort d'Union Montréal: il ne fermera plus!

Un coffre-fort, ça va, tu peux en acheter un autre, plus gros. Mais le bac à compost, non: la Ville ne ramasse que les bacs officiels marqués du logo de Montréal. Si tu n'utilises pas le bac brun du compost ou le bac vert du recyclage, les éboueurs - les vrais, pas Me Michel Dorval - le laisseront là, penaud, sur le trottoir...

Parlant d'éboueurs, parlons de Gérald Tremblay. Il ferait un bien mauvais éboueur: il ne veut pas se salir les mains. C'est ce qu'il faut déduire du témoignage de Martin Dumont. Quand ça s'est mis à jaser de financement cash, en 2004, autour d'une table d'Union Montréal, Gérald Tremblay s'est levé et a pour ainsi dire cartographié les limites de son espace éthique. Il a dit: «Moi, je n'ai pas à savoir cela.»

Avant, notre maire disait «Je ne savais pas.» Il l'a dit mille fois, non? Il a recyclé ce «je ne sais pas» de mille et une façons. Pour Gérald Tremblay, «je ne sais pas» est un passeport diplomatique qui permet de franchir toutes les frontières morales et éthiques sans être inquiété par les douaniers de sa conscience.

Sous son administration, les contrats municipaux sont devenus un buffet pour mafieux. D'autres maires, moins bien outillés pour gérer leur honte, auraient démissionné avant même qu'un Martin Dumont n'illumine leur aveuglement.

La honte, tiens, beau sujet... M. Tremblay n'a honte de rien. C'est un genre, ça aussi. Moi, j'ai un peu honte d'être montréalais. D'où ma photo qui coiffe cette chronique. Je me cache le visage, comme le fan d'une équipe de hockey pourrie, sous un sac de papier.

C'est aussi ma photo d'avatar Twitter depuis mardi soir: quand Gérald «Nixon» aura fini de s'accrocher au pouvoir, je la changerai. Entre-temps, #sacdelahonte est mon mantra.

*Rosemont-La Petite-Patrie