Jean Baril est un avocat spécialisé en droit de l'environnement. Sa spécialité: l'accès à l'information. Je vous sens déjà, chers lecteurs, frétillants d'enthousiasme...

Permettez que je reformule un peu. La spécialité de Me Jean Baril est de démontrer comment le bien public est piétiné par des intérêts particuliers, avec la complicité de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics du Québec, mieux connue sous le nom de Loi d'accès à l'information.

Déjà plus sexy, non?

Restons dans ce registre. Vous savez sans doute comment on sort le gaz de schiste des masses rocheuses souterraines. Par fracturation hydraulique: ces masses rocheuses sont pulvérisées par l'injection de jets d'eau hyper puissants pour atteindre le précieux gaz.

De l'eau? Pas seulement de l'eau, en fait. Toutes sortes de produits chimiques sont mélangés à cette eau. Quels produits chimiques?

Ah, là, vous êtes très curieux. Trop, même. Ce ne sont pas vos oignons. Le ministère de l'Environnement garde la liste secrète. Parce qu'elle appartient à des tiers et que ces tiers considèrent l'information comme étant confidentielle. La Loi sur l'accès aux documents des organismes publics permet cela.

«La loi sur l'accès devrait plutôt s'appeler La loi sur la restriction à l'accès de l'information», lance Me Baril, qui pratique au Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) quand il ne prépare pas sa thèse de doctorat sur le droit d'accès à l'information environnementale, à l'Université Laval.

Le CQDE a contesté le refus du ministère de l'Environnement de lui donner la liste des produits chimiques shootés dans le sous-sol - flirtant forcément avec les nappes phréatiques - devant la Commission d'accès à l'information du Québec.

Date du dépôt de la contestation par Jean Baril et sa bande du CQDE: novembre 2010.

Date de l'audience: indéterminée!

«Presque deux ans plus tard, tout ce qu'on sait, c'est qu'on aura peut-être une conférence préparatoire en octobre. Mais pour l'audience... Ce sera en 2013.»

C'est fou, c'est cinglé, quand on y pense: le sous-sol appartient à tous les Québécois. L'eau qui y dort aussi, c'est une ressource collective. Mais la liste de la merde que le privé compte utiliser pour pulvériser les masses rocheuses, elle, peut rester secrète. Avec la complicité d'une loi censée garantir de la transparence dans les affaires de l'État!

«L'article 118.4 de la Loi sur la qualité de l'environnement donne en principe aux Québécois le droit de savoir quels sont les contaminants qui sont dans l'environnement, note Jean Baril. Mais en invoquant la Loi sur l'accès aux documents publics, le ministère de l'Environnement nous refuse l'accès à la liste des ingrédients utilisés pour la fracture hydraulique.»

Traduction: entre deux lois concurrentes, ce n'est pas celle prônant la transparence qui triomphe. Ce n'est pas, disais-je, vos oignons.

C'est un cas parmi mille qui illustre à quel point la Loi québécoise sur l'accès aux documents publics est, 30 ans après son adoption, une triste joke.

Par contre, la loi est très, très, très efficace pour donner accès aux notes de frais d'élus et de fonctionnaires: si vous voulez savoir combien a coûté le stage de formation en relaxation transcendantale de fonctionnaires du Revenu dans un spa montérégien, incluant le prix des dix bouteilles de vin accompagnant le souper d'après-stage de ces fonctionnaires, vous le saurez sans problème.

Mais si vous voulez savoir quels sont les termes des ententes entre Hydro-Québec et les compagnies pétrolières qui ont des visées sur le sous-sol de l'île d'Anticosti, sachez que ce sont des ententes confidentielles.

Notre pétrole, notre société d'État, mais pas nos oignons...

«En 2008, résume le metteur en scène et activiste Dominic Champagne, dans son nouveau et joli coup de gueule Le Gouvernement invisible, le gouvernement a procédé à la vente de ces permis (d'exploration) à des intérêts privés sans que les actionnaires que nous sommes sachent à quelles conditions...»

Bref, quand il s'agit d'un deal entre Hydro et des pétrolières valant potentiellement des milliards de dollars, vous ne saurez rien. Pour des notes de frais valant quelques centaines de dollars, vous saurez tout, tout, tout...

Permettez que je cite l'humoriste américain George Carlin, qui dénonçait de son vivant le triomphe des intérêts privés sur le bien commun: «C'est un gros club. Et vous n'êtes pas dedans.»

L'opacité dans les débats publics débouche sur une absurdité: on débat de choses sans avoir toutes les données pertinentes. Exemple magistral, dévoilé par Le Devoir en avril: le montant des redevances payées par les minières à l'État est secret. Et c'est Québec qui refuse de le dire, invoquant la Loi sur l'impôt minier. Le débat collectif sur ces redevances est donc l'équivalent de jouer au soccer les yeux bandés.

«Un gouvernement transparent a tendance à être un gouvernement plus juste...»

Qui a dit ça?

Julian Assange, fondateur de WikiLeaks, la nébuleuse numérique qui se bat pour que l'information qui compte vraiment ne soit plus réservée à un petit club sélect de privilégiés. Bien dit, non?