Denis Blanchette était au mauvais endroit au mauvais moment. En ce sens, sa mort est absurde. Sa mort n'a pas d'explication logique.

C'est pour ça qu'on a voulu faire de lui un héros. Je dis «on», ça inclut tout le monde. Ceux qui ont cru, dans la confusion de cette nuit folle, que leur collègue s'était interposé entre le tireur et la porte de service du Métropolis.

Les médias, qui ont relayé cette supputation, basée sur des déductions et non sur des faits avérés.

Ses amis, ses proches, qui y ont cru, à cette supputation.

Mais Denis Blanchette est mort comme Dave Courage a été blessé: sans crier gare. L'unique balle tirée ce soir-là les a fauchés tous les deux sans qu'ils aient eu le temps de s'interposer.

On le sait parce qu'Yvonne Courage, mère de Dave, a relayé aux médias le témoignage de son fils. Parce que le journaliste Claude Poirier, racontant les images captées par une caméra de surveillance, affirme qu'elles ne contiennent pas de geste héroïque.

Ça ne veut pas dire que Denis Blanchette ne méritait pas des funérailles organisées par l'État. M. Blanchette est mort dans un attentat qui, selon toute vraisemblance, visait la nouvelle première ministre du Québec. Ce n'est pas une mort ordinaire.

C'est cette mort inusitée qui méritait d'être soulignée solennellement, devant le peuple et ses représentants réunis.

Les mérites de Denis Blanchette devaient être dits publiquement. Un jour, sa petite fille de 4 ans saura que son père se dévouait corps et âme pour elle et pour tant d'autres. Ce n'est peut-être pas de l'héroïsme de films d'action, mais c'est cet héroïsme ordinaire et quotidien qui assure la suite du monde. Ce n'est pas rien.

On a voulu faire de M. Blanchette un héros. On y a cru. Car si M. Blanchette était mort en se dressant devant le tireur, sa mort aurait peut-être un sens. Et l'événement du Métropolis aurait peut-être lui-même un moignon de sens.

Chaque fois que l'actualité met en scène des gens fauchés parce qu'ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment, je pense aux réflexions d'Albert Camus sur l'absurde, dans Le mythe de Sisyphe.

«Un monde qu'on peut expliquer même avec de mauvaises raisons est un monde familier. Mais au contraire, dans un univers soudain privé d'illusions et de lumières, l'homme se sent un étranger.»

Comme tous les mythes, celui de la mort héroïque de Denis Blanchette est né pour atténuer un peu de notre vertige, devant un monde parfois impossible à comprendre.