Ceux qui sont du bord d'un minimum de décence ont tous senti leur coeur chavirer, mardi soir, peu avant minuit, quand des agents de la Sûreté du Québec (SQ) se sont précipités sur la scène du Métropolis pour interrompre le discours de Pauline Marois. Instinctivement, nous avons tous compris que quelque chose de tragique se tramait.

Le Québec vivait un moment historique: pour la première fois, une femme prenait la tête de son gouvernement. Cet événement a été occulté violemment devant nous par ce qui a toutes les allures de la première tentative d'assassinat d'un chef politique québécois, en direct à la télé.

Il est trop tôt pour blâmer qui que ce soit. Il n'est pas trop tôt, cependant, pour dire haut et fort que la Sûreté du Québec doit faire une analyse sans complaisance de son approche quant à la protection des leaders politiques québécois.

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Deux questions me tarabustent depuis cette nuit folle et tragique, rue Sainte-Catherine.

La Sûreté du Québec est responsable de la protection rapprochée des dignitaires, en vertu de ce qu'on appelle un «niveau 6» dans la loi qui départage les responsabilités des différents corps de police au Québec. Mais le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), lui, était responsable du périmètre de sécurité autour du Métropolis.

Le SPVM et la SQ évitent publiquement de se blâmer dans cette affaire. Fort bien.

Mais le fait est que la porte de service à l'arrière du Métropolis n'était pas gardée par un policier. Première question: qui avait la responsabilité d'y affecter un agent?

Le SPVM et la SQ, là-dessus, se renvoient la balle, par l'entremise de leurs porte-parole respectifs. Il y a un flou.

J'insiste: vu la proximité de cette porte avec la scène où Mme Marois faisait son discours, il tombe sous le sens que quiconque en passerait le seuil avec une arme devenait une menace immédiate.

Deuxième question: pourquoi Mme Marois a-t-elle pu retourner sur scène après la dramatique interruption de son discours et sa sortie de scène?

Guy Lapointe, de la SQ, me dit qu'une fois l'assurance que la «menace» avait été neutralisée au Métropolis, Mme Marois a demandé à revenir sur la scène. Les agents de la SQ ont dit oui.

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«Ce n'est pas parce que quelque chose n'est jamais arrivé que cette chose n'arrivera jamais», me dit au bout du fil Dan Emmett, ancien agent spécial du Secret Service américain, l'agence chargée de la protection de l'occupant de la Maison-Blanche.

M. Emmett a écrit un livre, Within Arm's Length: The Extraordinary Life and Career of a Special Agent in the United States Secret Service, pour raconter de l'intérieur ses deux décennies en tant qu'agent affecté à la protection des présidents George H. W. Bush, Bill Clinton et George W. Bush.

Je sais, je sais. La protection du président des États-Unis n'a rien à voir avec celle du premier ministre - ou de la première ministre - du Québec. Mais je voulais voir comment réfléchit quelqu'un qui a dû protéger un des chefs politiques les plus menacés sur Terre.

Quand j'ai évoqué l'épisode du Métropolis, Dan Emmett s'est étonné que toutes les portes du théâtre n'aient pas été gardées par des policiers armés chargés de surveiller les allées et venues.

«Il est crucial d'établir un périmètre de sécurité de 360° autour de la personne à protéger, un périmètre qui soit étanche. Si on manque de main-d'oeuvre, on verrouille les portes, tout simplement!»

Et selon Dan Emmett, rien ne justifie qu'un chef politique retourne sur scène après l'interruption de son discours par ses gardes du corps.

«Le Secret Service discute à l'avance avec le président des menaces potentielles quand il veut se déplacer. Mais si un événement justifie que le Secret Service interrompe le discours du président, je peux vous garantir qu'il n'y a plus de discussion! Il est alors entouré d'agents qui servent de boucliers et qui l'entraînent loin de la menace. On ne lui demande pas ce qu'il en pense.»

Dans le cas d'un incident similaire à celui du Métropolis, un président américain aurait été entraîné en lieu sûr en en quelques secondes, dit M. Emmett. Les questions, on se les pose après...

«Le 11 septembre 2001 au matin, quand le vice-président Cheney a été entraîné dans un lieu secret, les agents ne lui ont pas demandé s'il voulait les suivre. Ils l'ont physiquement empoigné pour l'entraîner vers ce lieu sûr. Ses pieds ne touchaient plus à terre.»

Évidemment, je le répète, le Québec n'est pas les États-Unis. Mais il y a des crackpots partout. Et, comme plusieurs tragédies récentes l'ont démontré, se procurer une arme capable de faucher plusieurs vies d'un coup n'est pas très difficile...

Peut-être que le Québec - ce Québec politique si tranquille, si pacifique malgré nos déchirements - est mûr pour dépoussiérer ses moeurs en matière de protection de ses chefs.

«Quand quelque chose de fâcheux survient, conclut l'ancien agent Dan Emmett, il n'y a jamais d'excuse pour que ça survienne une seconde fois.»