Shawinigan, vendredi dernier. C'est la dernière ligne droite de la campagne. Jean Charest est en plein milieu d'un discours à des militants du PLQ, au Pub Broadway. Il n'a pas de notes. Il n'a pas de micro. Il suinte la conviction. Et il est électrisant.

Je sais, «Jean Charest» et «électrisant» dans la même phrase, ça peut faire sourire. Mais les clips de 10 secondes aux nouvelles ne rendent pas justice à l'aisance de ce campaigner naturel devant une foule.

J'ai suivi M. Charest dans les 30e, 31e et 32e jours de cette campagne, de Montréal à la Mauricie en passant par le Saguenay, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine. Drôle, plein de verve, punché: Jean Charest sait comment fouetter ses troupes.

Ursule, militante libérale présente au Pub: «Si les gens pouvaient l'écouter en personne, ils seraient tous libéraux!»

Durant toute la campagne, les sondages sont tombés sur le PLQ comme autant de sombres pronostics d'un oncologue à son patient condamné. Je m'attendais donc à trouver un chef de mauvaise humeur en montant dans la caravane libérale.

D'autant plus que ces sondages le donnaient aussi perdant dans son fief de Sherbrooke, où il a remporté huit élections fédérales et provinciales depuis 1984.

Et pourtant, non. Il s'amuse.

Surprenant!

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Suivre un politicien du calibre de Jean Charest en campagne, c'est comme jouer dans le film Le jour de la marmotte, ce classique de 1993 où Bill Murray se réveille chaque jour dans un 2 février qui se répète à l'infini...

Partout, à Montréal, à Saint-Sévère, à Chandler, à La Baie ou à Grosse-Île, Jean Charest martèle les mêmes phrases. Avec la même conviction.

PLQ=l'économie, emploi, stabilité.

PQ=référendum, instabilité.

Et la CAQ=PQ.

Partout, il fait un petit numéro d'acteur devant la foule de militants conquis d'avance. Jean Charest mime un type qui, dans l'isoloir, se demande pour qui voter, il tient un crayon dans sa main, une feuille de papier dans l'autre...

«Ouain... Ce serait bon, du changement...» dit le PM en prenant la voix de l'électeur. Reprenant sa voix à lui, fixant la foule d'un oeil quasiment mauvais, Jean Charest dit alors: «C'est une bonne question. Mais la VRAIE question, c'est: changer, mais pour quoi? Pour le PQ et le référendum?»

Car, comme en 1998, comme en 2003, comme en 2007, comme en 2008, le Jean Charest version 2012 brandit encore et toujours l'épouvantail référendaire pour inciter les Québécois à voter pour lui.

Le chef libéral, à sa façon, joue lui aussi dans son propre Jour de la marmotte. Le jour de la séparation.

Se croit-il?

Je ne sais pas. Car si j'ai appris quelque chose en trois jours à le suivre et à le questionner sans jamais obtenir de réponses, c'est que Jean Charest est totalement dénué de candeur.

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Îles-de-la-Madeleine, samedi dernier. Ils sont 200 au moins, vêtus de rouge, à l'attendre dans une salle trop petite d'un hôtel. Fébriles. Comme si Mick Jagger était en ville.

Le PM monte sur scène.

Économie... Emploi... Stabilité...

Quelques observations locales, justes et appréciées, sur les Îles.

Référendum... Instabilité...

Et, encore, le petit manège du gars indécis dans l'isoloir.

Il quitte la tribune, acclamé. Et son plaisir est évident. S'il s'en va à la potence, il s'y dirige avec un sourire. Le sourire d'un homme qui savoure peut-être les derniers moments de ce qu'il a fait toute sa vie d'homme: de la politique. Une carrière lancée en 1984, un... 4 septembre.

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Je sais, je sais. Tous les politiciens sont capables de bullshiter avec conviction. Mais Jean Charest est un politicien doué justement parce qu'il peut dire des choses qui dépassent l'entendement avec une conviction qui surpasse ses rivaux.

Tony Tomassi est un bon ministre de la Famille.

Pas besoin d'une commission d'enquête.

Financer à 100% des écoles privées juives, c'est juste de l'inclusion.

C'est pourquoi, en le suivant dans cette campagne, je ne savais jamais quand il fallait croire Jean Charest. Ni sur les sondages erronés (selon lui), ni sur sa conviction d'être encore PM ce matin.

Et aujourd'hui, est-il soulagé ou triste d'avoir été boudé par ses électeurs de Sherbrooke, pour la première fois en 28 ans?

Lui seul le sait. S'il est capable de candeur face à lui-même.