Pier-Olivier Morissette m'a écrit un courriel irrésistible: «Salut, j'ai 30 ans, et j'ai l'impression que mon vote va se tourner vers Robert Dutil.» Enfin, un libéral! Les libéraux ne se sont pas bousculés pour m'inviter à parler de politique. Bouge pas, j'arrive, Pier-Olivier...

Quand je suis arrivé à Saint-Georges, Pier-Olivier m'attendait au pub Rock Café avec d'autres Beaucerons prêts à jaser politique au temps de l'indécision électorale. Il y avait là Jean-Denis Parent, 36 ans, propriétaire du pub et de l'épicerie adjacente, Jérôme Gendreau, 35 ans, caméraman-monteur à la télé locale, 35 ans, et Nicolas Rochette, prof de maths au cégep, 44 ans.

Pis, les gars, les élections?

Pis, c'est compliqué, ce coup-ci, m'ont expliqué mes Beaucerons.

***

Prenez Pier-Olivier:

- Je suis plus indécis qu'il y a une semaine.

- Pourquoi?

- Ben, c'est difficile, avec toutes ces allégations contre le Parti libéral (PLQ)...

Pier-Olivier, au fond, aimerait bien que Thomas Mulcair se grouille et ouvre une succursale québécoise du Nouveau Parti démocratique. Il est de gauche: il pourrait voter Parti québécois (PQ) ou Québec solidaire (QS). Mais Pier-Olivier est fédéraliste. De toute façon, ce qui motiverait son vote pour le PLQ, c'est Robert, comme les gars appellent le député-ministre Robert Dutil.

D'abord, m'ont-ils tous dit du député de Beauce-Sud, «ce n'est pas un croche». Ensuite, Robert est largement associé à un petit miracle, ici, en Beauce: le prolongement de l'autoroute 73, qui prend fin à Beauceville, jusqu'à Saint-Georges. Un prolongement attendu depuis des décennies, qui a débloqué - malgré la colère des opposants - sous le règne libéral.

Jean-Denis, lui, est l'archétype de cet électeur qui croit qu'il faut gérer l'État comme une business. Il le dit d'emblée: «Quand on est en affaires, on devient plus à droite.» Le comptable Legault promet de gérer l'État comme une business: donc, on pourrait penser que Jean-Denis votera Coalition avenir Québec (CAQ), le 4 septembre.

Eh bien, non!

- La CAQ est trop à gauche pour moi...

- Pardon?

- As-tu vu les milliards de dépenses que Legault promet? Et ces cinq jours de congé par année pour les parents? Ça me met dans le trouble, comme employeur...

Chose certaine, Jean-Denis ne votera pas PQ. En 1995, il a voté oui. Mais il a changé d'idée, tout de suite après, au contact d'étudiants étrangers qui fréquentaient le même collège que lui, à Montréal: pourquoi briser un si formidable pays, gémissaient-ils...

- Plus tard, dit Jean-Denis, j'ai passé un mois dans les Rocheuses. Là, j'ai réalisé que c'est à moi aussi, les Rocheuses. En étant Canadien, on n'a pas besoin de passeport pour y aller...

- Ben moi, je suis déjà allé à Vancouver, lui a répondu Jérôme. Pis je ne me sentais pas chez nous pantoute!

Jérôme, vous l'aurez deviné, est souverainiste. La trentaine n'a pas émoussé son rêve de pays. Donc, on pourrait penser que Jérôme votera PQ, le 4 septembre...

Eh bien, non!

La Beauce est une terre aride pour les souverainistes, qui y présentent des candidats qui laissent Jérôme indifférent. «Sans compter que le PQ a nui au prolongement de l'autoroute 73», dit-il.

Il voterait bien pour l'homme, pour Dutil, s'il habitait encore Beauce-Sud. Mais il habite depuis peu Beauce-Nord. «Dans le fond, je suis bien mêlé...»

En fait, Jérôme est tellement mêlé qu'il s'est abaissé - mon choix de verbe - à consulter cette invention idiote qu'est la Boussole électorale de Radio-Canada. Qui lui suggère de voter vert. (Et, ajouterais-je: vert, avec la Lune en Capricorne.)

Mais je m'égare...

Le seul qui suinte la certitude, c'est Nicolas. T-shirt, bermuda, barbe, sortant tous les mots-clés du mouvement «citoyen»: il incarne l'idée qu'on se fait d'un écolo-gauchiste. D'ailleurs, aux élections fédérales de 2008, il a été candidat des verts (5e avec 852 voix, loin derrière Maxime Bernier et ses 26 799 voix).

«Je vais voter Québec solidaire. Je suis trop vieux pour voter stratégique et le regretter le lendemain.»

***

Je suis revenu à Jean-Denis, proprio du resto, en réalisant qu'il ne m'avait toujours pas dit pour qui il allait voter, le coquin...

- Finalement, tu peux juste voter libéral, Jean-Denis...

- Si les élections étaient aujourd'hui, oui: PLQ. Même si j'ai un bogue avec les crosses.

Jean-Denis m'assure qu'il ne sera pas le seul à voter PLQ en se bouchant le nez. Au resto, dit-il, il ne compte plus les clients qui, attablés en groupe, jurent être indécis. Et qui, en privé, finissent par admettre qu'ils voteront PLQ, le 4 septembre.

Même son de cloche chez Pier-Olivier: pour ma visite, il avait invité des libéraux notoires à venir jaser au Rock Café.

Ils ont tous décliné.

Pas trop, trop envie de s'afficher...

En revanche, la haine antilibérale s'affiche bruyamment, elle. «Quand je dis que je songe à voter PLQ, note Pier-Olivier, je me fais dire: «Tu vas encourager du monde qui va te fourrer...»»

Tout ça m'a fait penser à un truc. Se pourrait-il que le vote libéral soit sous-évalué? Justement parce que, ces temps-ci, c'est un peu honteux à admettre?

À admettre à des sondeurs, par exemple...

Je ne sais pas. On verra.

Pier-Olivier a fini sa phrase:

«L'autre truc que j'entends souvent? «Tant qu'à me faire fourrer, je vais me faire fourrer par quelqu'un que je connais.»»