Gérard Deltell me fait signe d'attendre une seconde: son regard vient de croiser celui d'un jeune homme qui s'apprêtait à monter dans sa Toyota verte, dans le stationnement. «Attends, je vais saluer monsieur...»

La Coalition avenir Québec (CAQ) culmine dans les intentions de vote de la région de Québec: 38%, selon le sondage Léger Marketing-QMI. Le jeune homme à la Toyota se trouve dans ces 38%: «Vous avez mon vote, monsieur Deltell!»

Dans le restaurant Pizzeria 67, à Saint-Émile, le député-candidat s'assied tout près de la porte. Quand les gens entrent, la plupart n'hésitent pas à piquer une petite jasette à celui qui fut chef de l'ADQ avant que celle-ci ne soit avalée par la CAQ.

«On est derrière vous, monsieur Deltell!», s'exclame un jeune père de famille qui pousse un landau où dort son poupon.

Quand j'ai dîné avec Gérard Deltell, le sondage de Léger Marketing était encore tout chaud. Il fait bon être député de centre droit, ces années-ci, à Québec, et il fait bon y être candidat caquiste, ces jours-ci...

«Ça va bien, même si je n'ai pas besoin d'un sondage pour savoir que ça va bien pour nous. M. Charest passe beaucoup, beaucoup de temps dans la région depuis le début de la campagne. Il a fait pour 300 millions d'annonces. Mais je crois que c'était une erreur. Les gens sont méfiants, ils se disent: Look who's talking...»

Un monsieur entre justement et lance à mon hôte, qui vient de finir sa pointe de pizza: «Tiens, un futur ministre!

- Ça se passe bien, M. Dion, ça se passe bien», répond Deltell.

Jean-Guy Dion est le proprio de cette petite chaîne de pizzerias. Au député, sur le ton de la confidence, il lance: «La seule chose que j'espère, c'est qu'elle va manger une claque...»

Sans la nommer, le proprio parle de Pauline Marois. Dans la région, la campagne du PQ ne lève pas. Intentions de vote: 25%. Comme le PLQ. Et il y a une raideur dans le verbe quand M. Dion poursuit sa phrase: «... Avec tout ce qu'elle a promis aux jeunes! Moi, je pense qu'il faut qu'ils prennent leur trou, les jeunes.»

Deltell ne dit rien qui puisse encourager le courroux du proprio. Ce n'est pas son genre. Je suis sûr que le député de Chauveau est d'accord avec M. Dion, sur le fond. Mais la hargne, ce n'est pas son truc.

En fait, c'est ce que je voulais vous dire: Gérard Deltell est le plus gentil des hommes. Ceux qui le côtoient vous le confirmeront.

Quand il parle de ses adversaires, il dit «Sam» (Hamad), il dit «Agnès» (Maltais), il dit «Pauline» (Marois). Il a une vision chevaleresque de la politique, je dirais. «On fait tous le même métier; mêmes joies, mêmes déceptions...»

Il y a un an, un an et demi, quand «Pauline» était assiégée au PQ, «quand elle mangeait de la misère», selon les mots de celui qui était alors chef de l'ADQ, il lui a envoyé «une note personnelle, en appui», car il trouvait ça «rough pour elle».

Et tes adversaires dans Chauveau, Gérard?

«Pour le PQ, Marie-Ève D'Ascola est mère de famille, conseillère municipale. J'ai bien du respect pour elle. Pour le PLQ, Marie-Ève Bédard est la chef de cabinet du ministre de la Santé. Une très bonne personne. Hey, chef de cabinet du ministre de la Santé! Tu peux pas faire ce job et être une tarte!»

Voilà. Gérard Deltell est ce genre d'homme. Incapable de dire du mal de son prochain.

Ici, à Québec, on dit que la CAQ l'a «tassé», lui, l'ancien chef de l'ADQ, annexée au parti de François Legault. Pourtant, je l'ai vu à RDI et entendu à la radio locale, où la question de son tablettage médiatique a été abordée. «C'est la dynamique de l'info, me dit l'ancien journaliste de TQS. Les campagnes se concentrent sur les chefs.»

Samedi, en soupant à Québec avec Paul Journet, qui couvre la campagne du PQ pour La Presse, j'ai évoqué le tablettage de Deltell, lui disant que j'en croyais rien...

Paul a sorti son BlackBerry, a pitonné un peu et m'a montré une photo de la campagne de pub de la CAQ. On y voit quelques candidats. Dont Gérard. Ou plutôt une moitié de Gérard, à droite de l'image. Un centimètre de plus et il aurait fallu l'identifier grâce au lobe de son oreille...

Je me suis souvenu de notre échange, après qu'il eut dit du bien de ses adversaires dans Chauveau:

«T'es fin, Gérard.

- Merci.

- Ça te nuit, des fois?

- Je sais pas», a-t-il fait, la joue dans la paume de sa main.

Moi, je crois que si.

Je crois que ça peut nuire à un homme comme Gérard Deltell, d'être gentil, en politique. Pour être chef, tiens, il faut une part d'ombre. Un côté Darth Vader, qui n'hésite pas à enfoncer le sabre laser dans le coeur des autres. Des siens, même.

Et toi, Gérard, ce sabre-là, tu ne saurais même pas comment l'allumer, si tu en trouvais un.

C'est un compliment, mon gaillard...

En veux-tu un autre?

Si t'étais dans ma circonscription, je voterais pour toi. Pour l'homme.

Photo: PC

Le député Gérard Deltell, à gauche, avec son chef François Legault, à Québec. Deltell est un vrai gentleman.