Sur un cliché, ils sont là, amochés, mais bien vivants. Ils vous fixent du regard. Sur l'autre cliché, juste à côté, ils ont l'air de dormir, mais non: ils sont morts. Bienvenue à l'exposition À la vie, à la mort, à la basilique Notre-Dame, voyage de Beatte Lakotta et Walter Schels aux frontières de la mort.

Je vous ai parlé de ce couple d'Allemands, il y a quelques années, après avoir vu leurs clichés sur le web. Il est photographe, elle est journaliste. Ils ont proposé à des gens condamnés par la médecine de les photographier peu avant leur mort. Puis, de prendre une autre photo, juste après.

Peut-être que c'est le silence. Peut-être que c'est la culpabilité d'être soi-même là, vivant. Peut-être que c'est l'impression d'effleurer la mort. Mais dans la grande pièce de la Basilique où on regarde ces photos, on éprouve comme un grand vertige, comme si on marchait au bord d'une falaise.

La vie de chaque sujet est résumée en quelques lignes. On ne sait rien de ces gens, de ces jeunes et de ces vieux, morts en Allemagne en 2003, 2004 et 2005.

Et pourtant, il est impossible de ne pas ressentir un frisson en les lisant, ces lignes. Ce sont des fragments d'humanité universels. Ces morts, c'est nous.

Heiner Schmidt, mort à 52 ans, en 2003: «Je vais mourir, moi. Et dès que je suis seul, ça occupe toutes mes pensées.»

Klara Behrens, 83 ans, morte le 3 février 2004: «Je ne suis pas effrayée par la mort. Je ne deviendrai qu'un des milliards de grains de sable de l'univers.» Et, pratico-pratique jusqu'à la banlieue de la mort, elle déplore un truc: «Je viens juste de m'acheter un nouveau réfrigérateur. Si seulement j'avais su...»

Jan Andersen, 27 ans, mort le 14 juin 2005, d'un cancer lié au VIH: «Tu es toujours là? , demande-t-il à sa mère, la nuit de sa mort. Elle lui répond: «Tu ne vas pas bien, j'ai préféré rester.» Plus tard, Jan lui dit: «Je vais partir, maintenant. Je suis heureux que tu sois là.» Au moindre contact physique, il subit de grandes douleurs, mais il souhaite que sa mère le prenne dans ses bras jusqu'à la toute fin. «C'est bien que tu sois là.»»

De tous les mots lus dans l'expo À la vie, à la mort, ce sont probablement ceux de Wolgang Kotzahn, 57 ans, qui me hantent le plus. Ils se lisent ainsi: «Chaque jour que je vis, je le savoure pleinement. Je n'avais pas encore prêté attention aux nuages, mais désormais, j'observe la vie d'un oeil nouveau. Chaque nuage dans le ciel, chaque fleur dans le vase... Maintenant, tout est devenu important.»

Ils me hantent parce que je les lis, les mots de Wolfgang, et je me sens idiot. Pourquoi suis-je incapable de savourer pleinement chaque jour avec un oeil nouveau? Pourquoi suis-je incapable, si souvent, de la remarquer, la putain de fleur, là, tout de suite, alors que je suinte la santé?

Mais c'est Roswitha Pacholleck, 47 ans, qui nous assène les mots les plus terribles, au fond. Elle dit: «Je n'ai rien accompli. Il n'y a rien à dire sur ma vie.»

Il y a, dans ces deux phrases, toute la violence d'une vie qu'on devine ratée, aux yeux de cette femme. Il n'y a RIEN à dire sur la vie de Roswitha. Rien. Même pas sur l'achat, récent ou pas, d'un réfrigérateur...

Irmgard Schmidt, 82 ans, femme de marin: «Elle cite, de mémoire, un vers de Goethe: «Aucun être ne peut se dissoudre dans le néant, l'éternité vit dans tout.»»

L'éternité vit dans tout...

J'aime penser que c'est une réponse cosmique à Roswitha.

LA MORT, ENCORE En mars dernier, des parlementaires québécois ont accouché d'un petit bijou: un rapport mature et lucide sur la «fin de vie» (je hais cette expression, mais bon...).

La commission Mourir dans la dignité a mené des consultations partout en province et elle a fait des propositions pour permettre aux Québécois de mourir comme ils le souhaitent, le plus doucement possible. Soins palliatifs, suicide assisté, objection de conscience des professionnels de la santé: tout y était.

Pendant trois mois, le gouvernement de Jean Charest a été remarquablement silencieux sur les suites à donner à ce rapport qui veut baliser la fin de vie. Il faut dire qu'il avait les mains pleines dans d'autres eaux plus troubles de l'écosystème politique, mais quand même...

À la mi-juin, Jean-Marc Fournier, ministre de la Justice, a finalement annoncé que deux juristes - Me Jean-Claude Hébert et Me Jean-Pierre Ménard - allaient analyser les recommandations unanimes de la Commission, pour en tirer «un éclairage plus approfondi».

Est-ce une façon d'euthanasier le rapport?

«J'aurais souhaité, bien sûr, un engagement du ministre Fournier à donner suite aux recommandations sur l'aide médicale à mourir», m'a dit la députée péquiste Véronique Hivon, à l'origine de la résolution qui a débouché sur cette commission. «Je demeure toutefois positive, car Me Jean-Pierre Ménard et Me Jean-Claude Hébert, qui mèneront les travaux complémentaires, sont des juristes de grande qualité qui maîtrisent très bien le sujet. Et, au moins, le rapport n'est pas tabletté!»

Au moins.