La scène se déroule en août 2010 dans le stationnement d'un centre commercial de Montréal-Nord. Le député de Bourassa, Denis Coderre, jase (parfois en créole) avec des chauffeurs de taxi haïtiens qui font le pied de grue près de l'épicerie. Profitant du fait qu'il a l'oreille d'un élu, un chauffeur commence alors à pester contre la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ).

Le député Coderre écoute attentivement, suintant d'empathie, un modèle d'écoute active. «On va passer le message», promet-il au chauffeur courroucé.

J'étais là pour un portrait du député libéral fédéral dans le cadre des Francs-tireurs. Bien sûr, je n'ai pas pu m'empêcher de lui souligner l'évidence...

«Denis, tu es un député fédéral... La SAAQ, c'est provincial!»

Pas désarçonné une seule seconde, l'ancien ministre a mentionné, il me semble, ses contacts étroits avec ses collègues provinciaux.

A-t-il «passé le message» à qui de droit? Je n'en sais rien. Mais il ne viendrait jamais à l'esprit de Denis Coderre l'idée de dire à un électeur qu'il ne peut rien faire, qu'un dossier ne relève pas de sa gargantuesque énergie, de s'adresser à un autre élu que lui.

Quand je le haïssais, j'aurais décrit cette scène en parlant du racolage ordinaire d'un politicien ordinaire.

Mais comme je ne le hais plus, je vais vous dire que cette scène montre que rien n'est à l'épreuve de Denis Coderre.

J'étais chroniqueur au Journal de Montréal, Denis Coderre était ministre de Jean Chrétien. Grande gueule, diplômé de l'école politique de la Poignée de main et de la Tape dans le dos, champion olympique de l'autopromotion politique...

Bref, je le haïssais. Sans savoir pourquoi. Sans raison particulière.

Je n'étais pas le seul: le député de Bourassa suscitait des sentiments viscéraux, nous étions quelques-uns à se délecter de le voir caricaturé par Chapleau, dont la verve à son endroit frisait la cruauté humaine.

Et quand il s'est retrouvé en banlieue du scandale des commandites - il avait dû admettre avoir dormi chez Claude Boulay, fournisseur du gouvernement -, j'avais enfin une raison légitime de l'écorcher...

C'est donc dire qu'il revient de loin, l'homme fort de Bourassa. En quelques années, il a fait une prise de judo au sort: ce mépris dont on l'abreuvait, il en a utilisé l'énergie pour le transformer en un intérêt envers sa personne.

À grands coups d'amis Facebook - dont il fut un utilisateur hâtif -, à grands coups de messages Twitter qui ont transformé sa vie en une sorte de téléréalité et d'apparitions ponctuelles qui ont montré son côté sucré, le député a réussi à se montrer sous un autre visage que celui d'un politicien carriériste. Ce qu'il est, aussi, remarquez...

Ajoutez à cela une bataille de principe, cette bataille juridique qu'il a faite à Shane Doan, star du hockey canadien, pris en flagrant délit de mépris du fait français au Centre Bell. Bataille menée avec son propre fric*.

Il y a cinq ou six ans, si Denis Coderre avait laissé courir l'idée qu'il pourrait briguer la mairie de Montréal, on aurait surtout cru qu'il songeait à se recycler dans l'humour.

Aujourd'hui, ça tombe sous le sens.

Notre homme a connu une réhabilitation publique aussi spectaculaire qu'inattendue.

Denis Coderre, candidat à la mairie de Montréal?

Mardi, quand il a réuni quelques centaines de ses plus proches amis, il a maintenu le suspense, comme il le fait depuis plus d'un an. Il a invité ses amis à l'aider dans sa réflexion, rappelant que 2012 sera «l'année de la décision»...

Si je le haïssais encore, je dirais qu'il attend de voir qui va se présenter pour l'élection de 2013, qu'il jauge surtout ses chances de gagner. Mais je ne le hais plus, donc je vais croire que Denis - impossible de le vouvoyer, il l'interdit en bloc - réfléchit pour de vrai.

Le pire, c'est que le timing est peut-être parfait pour qu'on dise un jour «Denis Coderre, maire de Montréal». Dans la chose municipale, l'ère est aux maires forts en gueule, capables d'attirer l'attention et de rendre leur ville impossible à ignorer. Voyez les maires de Québec, de Saguenay, de Trois-Rivières: pas forcément les plus grands visionnaires de la nation, un peu enclins à tourner les coins ronds. Mais des durs, capables d'imposer les priorités de leur ville à Québec.

Mardi, au MBA, Jean Chrétien, mentor politique du Lapin Energizer de Bourassa, a raconté une anecdote: «Je l'ai nommé ministre des Sports, puis du jour au lendemain, on parlait plus du sport que des autres affaires de mon gouvernement!»

Denis Coderre avait rendu le sport amateur «incontournable», un mot qui revient souvent dans sa bouche. Peut-il faire la même chose avec Montréal?

L'INSUBMERSIBLE AMIR Évidemment, invoquer Martin Luther King, quand on est arrêté dans une manif anti-loi spéciale, c'est un peu gros. Parlons d'un péché de métaphore. Mais Amir Khadir, c'est aussi le type qui a dépoussiéré le métier de député, qui s'éloigne du modèle du député-mouton qui est encore la norme à Québec, qui pourfend riches et puissants. Ce modèle-là, que vous ne verrez jamais menottes aux poignets dans une manif, indigne moins de monde que Khadir. Ça en dit plus long sur eux que sur lui.

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* Le 3 avril 2017, le Journal de Montréal a rapporté que l'homme d'affaires Jean Rizzuto a fait un don de 25 000 $ à M. Coderre pour payer ses avocats dans ce litige avec le hockeyeur Shane Doan.