Les routes du Québec sont en train de vivre, mine de rien, une sorte de révolution tranquille. On s'y tue de moins en moins: notre bilan routier est en train de s'approcher de celui des premiers de classe sur la planète.

> Ariane Krol: La culture de l'asphalte

Les chiffres déposés hier par la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) pour l'année 2011 sont clairs: depuis cinq ans, le nombre de morts et de blessés graves sur nos routes est en constant déclin.

Pour les morts, le Québec est passé de 720 en 2006 à 479 en 2011, une baisse de 33%. Pour les blessés graves, la baisse pour la même période est de 45%, de 3718 à 2036.

C'est un exploit, il n'y a pas d'autre mot.

«Je ne connais pas d'autres juridictions qui ont eu de si bons résultats en cinq ans», note Jean-Marie De Koninck, président de la Table de la sécurité routière du Québec, qui conseille le ministère des Transports du Québec depuis 2006.

Même la France, où le président Chirac avait fait de la sécurité routière une des priorités de son second mandat, ne s'est pas améliorée aussi vite que le Québec.

***

Avec 6 morts sur les routes par 100 000 habitants, le Québec est désormais près du bilan français. Il revendique le 2e rang au Canada, derrière l'Ontario (4,1 en 2009).

«On est en train de se civiliser», croit Jean-Marie De Koninck.

Même son de cloche chez Richard Bergeron. Le chef de Projet Montréal a décrié nos moeurs autoroutières en 2005 dans son livre Les Québécois au volant, c'est mortel: «On se rapproche du trio des pays exemplaires en matière de sécurité sur les routes, c'est-à-dire la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la Suède.»

Ces trois pays revendiquent les meilleurs bilans routiers du monde. Grande-Bretagne: 3,1 morts par 100 000 habitants; Pays-Bas: 3,9. Quant aux Suédois, véritables ayatollahs de la sécurité sur les routes, où chaque accident mortel est considéré comme inacceptable, il est de... 2,8 morts par 100 000 habitants.

Dans son livre, Richard Bergeron parlait d'une «prime à la mortalité» québécoise pour mesurer l'écart entre notre bilan routier et celui des pays qui présentent les meilleurs bilans. Pour lui, cette prime, c'était 200 morts de «trop» par année.

«Cette prime, on ne la paie plus, elle est devenue minime, si on se compare.»

Donnons une chose au gouvernement libéral de Jean Charest, qui suinte l'épuisement de fin de parcours: cette révolution tranquille sur l'asphalte, c'est son oeuvre. Il a réuni, au sein de la Table de la sécurité routière, tous ceux qui étaient touchés par l'enjeu. Et il a adopté plusieurs de ses recommandations, au cours des dernières années.

Richard Bergeron, si prompt dans le passé à pourfendre le Québécois au volant, voit une pacification notable de nos routes. «Juste pour le vélo, à Montréal, je constate que les automobilistes sont plus respectueux, par exemple.»

Ça, c'était les fleurs.

***

Le pot, maintenant...

«Pour arriver à 4 morts par 100 000 habitants, il va falloir en arriver à une limite légale d'alcool dans le sang de 0,05 mg. Quand l'idée a été émise, elle a été mal expliquée», dit M. De Koninck, en déplorant le lobby des restaurateurs contre cette idée.

Il faut aussi s'attaquer aux automobilistes qui envoient des textos au volant, note Jean-Marie De Koninck, un phénomène nouveau et grandissant. Installer des radars photo à plus grande échelle, comme prévoit le faire le gouvernement. La question des automobilistes qui roulent sous l'effet de la drogue l'inquiète aussi.

J'ajouterais que quand on décortique le bilan routier par régions, il y a de quoi décider de conduire avec un tank, dans certains coins, où on est très loin de la moyenne de 6 morts par 100 000 habitants et plus près du 10,7 (un des pires en Occident) des États-Unis.

Bas-Saint-Laurent: 11,5.

Chaudière-Appalaches: 11,8.

Abitibi-Témiscamingue: 13.

Quant au Centre-du-Québec, c'est tiers-mondiste, ou presque: 14,6 morts par 100 000 habitants! Le pire endroit au Québec où rouler, selon les chiffres.

Pourtant, face au Centre-du-Québec, de l'autre bord du fleuve, il y a la Mauricie. Taux de mortalité: 7,6! La moitié...

***

Mais réjouissons-nous. Nos routes ne sont plus aussi dangereuses qu'elles l'étaient il y a à peine 10 ans. Mieux: l'enjeu de la sécurité routière est désormais central dans l'imaginaire collectif.

À ce sujet, Jean-Marie De Koninick cite entre autres Dérapages, documentaire de Paul Arcand, à l'affiche le 27 avril, sans oublier la récente série de Pierre Foglia sur les éclopés de la route, dans La Presse.

«On se prend en main, avance M. De Koninck. Voyez l'appui aux radars photo, 82%. C'est très, très fort.»