J'écoutais Denis Lebel au micro de Paul Arcand, hier matin, et j'avais envie de lancer ma radio dans le mur. Le ministre fédéral des Transports était incapable de même faire semblant de rappeler virilement à Air Canada ses responsabilités.

Plutôt que de dire que le PDG d'Air Canada serait convoqué à Ottawa dans les plus brefs délais pour s'expliquer sur le rôle du transporteur dans la faillite d'Aveos, M. Lebel a piteusement débité la «ligne» habituelle des conservateurs: ce sont des sociétés privées, c'est un litige privé, on ne s'en mêle pas...

C'est faux.

Air Canada n'est pas une société privée comme les autres. Elle jouit notamment d'un juteux marché intérieur dont la concurrence est réduite au minimum, en grande partie pour l'aider, elle, en tant que «transporteur national».

Air Canada est une société privée qui possède l'arme nucléaire des relations de travail: l'inévitable loi spéciale d'Ottawa qui empêche ses syndiqués de déclencher des grèves.

Air Canada a des responsabilités légales en vertu de la loi qui a avalisé sa privatisation, sur le bilinguisme et le maintien du siège social à Montréal, par exemple. Sur ces deux points, Air Canada est d'une mauvaise foi épouvantable.

Pourquoi croirait-on à sa bonne foi sur le maintien des jobs d'entretien à Winnipeg, Mississauga et Montréal, une autre obligation légale? Pourquoi croirait-on qu'Air Canada ne veut pas exporter en douce de ces jobs en Amérique du Sud?

Surtout qu'Air Canada semble ici avoir contribué au crash d'Aveos - qu'elle possède en partie! - en cessant de lui envoyer des avions à réparer et en retenant des millions en paiements.

Pourquoi?

C'est une excellente question, mais le ministre Denis Lebel est suffisamment emmêlé dans ses bottines, d'après ce qu'on a entendu chez Arcand, pour ne pas avoir envie de la poser. Pour les conservateurs, le Boss a toujours raison.

En janvier, Caterpillar, une des entreprises les plus profitables du monde, sauvagement antisyndicale, a fermé tout aussi sauvagement son usine de construction de locomotives, à London, dans le sud de l'Ontario.

Or, personne, dans les rangs conservateurs ontariens, n'a même commenté la manoeuvre.

Le Boss a raison.

Vos yeules.

***

Je parlais hier avec Mike Moffatt, prof d'économie à la University of Western Ontario de London, de la fermeture de l'usine de Caterpillar. Et il a laissé échapper ce constat: l'État n'a que très peu d'impact sur la santé d'une économie.

«Une économie dépend finalement très peu du premier ministre d'un pays ou d'une province. Elle dépend bien plus des prix du pétrole, des matières premières, de la valeur de sa devise nationale...»

Il y a donc un mensonge, ai-je lancé au prof Moffatt, quand les politiciens clament pouvoir créer ou maintenir des jobs...

«Un mensonge? Je suis un prof, je ne dirai pas ça comme ça! Mais il est vrai que les politiciens peuvent faire très peu, en matière d'emplois créés ou même perdus: dans 90% des cas, ils n'ont aucun rapport.»

Au fond, les traités internationaux qui régissent le commerce mondial, qui permettent la délocalisation sauvage et le mouvement facile des capitaux, ont cent fois plus de pouvoir que Denis Lebel. Ou Stephen Harper. Ou Jean Charest. Ou Bob Rae. Qu'importe. Ils colportent tous la fiction des jobs.

Dans un monologue célèbre, le regretté humoriste George Carlin a expliqué magistralement comment l'alliance sacrée entre politique et Big Business a roulé l'Américain moyen dans la farine, depuis 30 ans.

Ce que veut Big Business?

«Des travailleurs obéissants, juste assez intelligents pour faire fonctionner les machines, mais suffisamment nonos pour accepter des jobs de plus en plus merdiques, des salaires réduits et des heures plus longues, sans avantages sociaux et sans heures supplémentaires...»

Et, notait Carlin, les gens travaillants continuent à élire «those rich cocksuckers who don't give a fuck about them»...

Je ne sais pas si Denis Lebel est riche. Mais je sais qu'il se cr*sse des gens d'Aveos.