Ce qu'il y a de fantastique avec la manifestation annuelle du 15 mars contre la brutalité policière, c'est qu'elle est prophétique: le 15 mars montréalais est toujours ponctué par des gestes brutaux des agents du Service de police de la Ville de Montréal!

Mais, bon, peut-être ont-ils un peu raison, ce jour-là...

Car tous les 15 mars, Journée internationale contre la brutalité policière, Montréal est le théâtre de cette comédie absurde: des casseurs dénoncent la brutalité policière en l'appelant de tous leurs voeux.

C'est devenu un party annuel de fin d'hiver où les flics et ceux qui les dénoncent jouent au chat et à la souris dans les rues de la ville. La manif d'hier n'a pas fait exception.

Après le passage des manifestants, on dirait que certaines rues de la ville ont reçu la visite de Godzilla et de ses enfants. Vitres cassées, voitures vandalisées, mobilier urbain martyrisé: bonsoir l'ambiance!

Résultat?

Le message principal de la manif du 15 mars - sensibiliser la société aux dérapages policiers - est complètement occulté par les dérapages des génies masqués qui font de la poésie à coups de barre de fer et de briques. Il ne faut pas être un Prix Nobel pour comprendre ça. Le message tombe à plat, il est aussi consistant qu'un oeuf qu'on échappe dans les éclats de verre...

Dommage. Parce que les rouages d'une démocratie en santé, ce sont les contre-pouvoirs. Dans la société civile, ces rouages sont souvent les groupes plus ou moins organisés qui dénoncent, qui militent, qui demandent des comptes.

Appelons ça la tension créatrice du progrès: l'action de groupes qui vont des syndicats aux associations professionnelles aux groupes citoyens en passant par les organisations qui se consacrent à des causes diverses. Parmi ces causes: les dérapages de la police.

Or, ici, la «cause» de la lutte contre la brutalité policière est complètement discréditée. Elle est associée à de la casse annuelle dans les rues de Montréal. On aura beau hurler, dans les rangs des manifestants du Collectif opposé à la brutalité policière (COBP), que la seule présence des flics à cette manif incite à la colère, que les policiers provoquent ces casseurs, il faudra penser à autre chose: ça ne convainc pas beaucoup de monde...

Dommage, parce que la police, bras armé de l'État, ne doit pas échapper au jeu des contre-pouvoirs. La police - comme le journalisme, comme le politique, comme les syndicats, comme le patronat - doit être l'objet de critiques et de récriminations, souvent légitimes. Pour changer, pour avancer.

Mais quand des casseurs piratent ces manifestations pour se payer un «fix» d'adrénaline annuel en se frottant aux flics de Montréal, ils minent forcément le contre-pouvoir qu'ils prétendent incarner.

Dommage, encore une fois: la police made in Quebec fait présentement l'objet de débats par ailleurs pertinents et cruciaux.

Pensez au profilage racial: les reportages récents de mon collègue de La Presse Hugo Meunier ont illustré l'ampleur du problème, en janvier dernier. Le délit de faciès, il existe. Il est rarement sanctionné. C'est une saloperie qui nuit aux minorités et... à la police.

Pensez à la police qui enquête sur la police: Québec se penche sur un nouveau mécanisme... qui ressemble étrangement au statu quo. Le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, fait ici du homestaging législatif.

Autour du COBP pourrait s'articuler une critique posée, intelligente et implacable des dérapages de la police au XXIe siècle. Cette critique existe dans ses rangs, mais elle est noyée dans la comédie urbaine du 15 mars.

Dommage.