Ça s'appelle opération Sous Zéro et le but est simple: donner un habit d'hiver aux enfants issus de familles pauvres. Vous n'en avez probablement jamais entendu parler, le centre communautaire Hochelaga étant en banlieue de ces campagnes de charité incontournables à la Centraide, à la Doc Julien et autres Guignolée des médias...

Mais c'est quand même 850 enfants, cet hiver, qui ont reçu un habit de neige complet, avec bottes, grâce à l'opération Sous Zéro.

Opération Sous Zéro, c'est le flash de la designer Marie Saint Pierre. Mais le moteur de l'opération Sous Zéro est cet ours à la tête en peau de kiwi qui dirige le centre communautaire Hochelaga: Roland Barbier.

Quand l'opération Sous Zéro a commencé en 2004, me dit-il, c'est 89 enfants qui ont eu un habit, dirigés vers le centre par sept directions d'écoles du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Aujourd'hui, c'est 850 enfants qui en recevront, dans 27 écoles de l'île...

«La pauvreté change. Aujourd'hui, une famille peut être pauvre même si le père et la mère travaillent...»

Quand il parle des pauvres et de pauvreté, Roland Barbier devient fascinant, on dirait Hubert Reeves qui parle des trous noirs, mais un Hubert Reeves qui aurait avalé du Ritalin. Une petite dynamo.

M. Barbier est un de ces soldats discrets dans ce qu'on appelle «le communautaire», cette constellation d'organismes qui font un million de choses que l'État ne fait pas, pour aider les gens. Au centre communautaire Hochelaga, on offre des camps de jour, des camps de vacances, des paniers de Noël, des activités pour les vieux. Roland Barbier, qui est toujours en train d'achaler qui un chef d'entreprise, qui une fondation pour trouver du fric, trouve même le moyen de fournir des espadrilles aux ti-culs qui en ont besoin, dans le quartier...

La première fois que j'ai entendu Roland Barbier, c'était à l'émission de Paul Arcand. Le morningman du 98,5 FM l'avait invité à ploguer Sous Zéro, justement. J'étais intrigué; Paul est davantage dans le lessivage des officiels publics que dans la plogue caritative. Pourquoi lui?

«Je l'ai connu quand j'ai tourné Les voleurs d'enfance, il m'a aidé à saisir la réalité du quartier. Je l'ai trouvé fascinant! Je suis un partisan de l'aide à l'échelle humaine et avec Roland, un missionnaire, il n'y a pas d'intermédiaire. C'est pour ça que je lui ai dit: si t'as besoin de moi, fais-moi signe...»

Alain Jacques, directeur chez Transport Jacques Auger, est un des donateurs de l'opération Sous Zéro. Il a connu Roland Barbier dans une autre vie, quand il était vice-président de l'épicier Metro: «C'était le superviseur de nuit, à l'entrepôt de distribution, il a toujours su tirer le maximum des employés, dans des contextes délicats. Quand il m'a joint, j'ai donné sans hésiter: c'est un gars droit, on sait que l'argent va se rendre à destination.»

Un missionnaire, disait Paul Arcand; il y a en effet quelque chose comme du missionnariat dans le boulot abattu dans «le communautaire» par les Roland Barbier de ce monde. Quand il m'a reçu, récemment, au centre communautaire Hochelaga, il supervisait un petit bataillon de bénévoles occupés à remplir des paniers de Noël qui partaient le lendemain. On ne peut pas s'empêcher de penser que même si le Québec a divorcé de l'Église catholique, le goût d'aider son prochain, lui, a survécu...

«Les besoins sont immenses, dit Roland Barbier. L'idéal, ce serait que chaque école ait accès à 25 habits d'hiver pour les enfants démunis. Et nous sommes bien placés pour le faire: un organisme comme le nôtre, ça connaît mieux son monde qu'une grosse structure...»

Pour une famille qui bénéficie des habits de neige, il s'agit d'un répit financier important. Un habit de neige, c'est cher, 100$, facilement, au bas mot. Quand vous avez deux, trois enfants, ces habits et ces bottes, c'est un cadeau du ciel...

Daniel Aitken, directeur de l'école Baril, tout près du centre communautaire Hochelaga, une fois les habits (discrètement) distribués: «Vous devriez voir les enfants dans la cour de l'école le lendemain, des sourires et du pur bonheur.»

Eleni, mère seule de quatre enfants, dont les trois plus jeunes reçoivent des habits d'hiver, résume simplement l'effet d'un bel habit sur un enfant: «Vous savez comment sont les enfants. Juste avoir une mitaine différente, ça pousse les autres à les niaiser. Porter quelque chose qui a du style, qui est beau, ça veut dire que mes enfants ne se font pas niaiser dans la cour d'école.»

C'est pour ça que j'ai tripé sur l'idée du projet Sous Zéro. Pour les habits neufs. Pour cette attention, délicate et délibérée, qui sous-tend une autre idée, celle d'une certaine dignité pour tous. Même pour les pauvres. Et en cette époque de haine du pauvre, ce n'est pas rien...

- Du vieux stock, les pauvres, ils en ont! On donne du neuf pour que l'enfant se sente bien. Et quand ils reçoivent leurs habits, sais-tu ce que beaucoup d'enfants disent?

- Non, Roland, ils disent quoi?

- Que c'est la première fois qu'ils reçoivent quelque chose de neuf...

J'allais dire qu'il y a quelque chose comme le père Noël dans ce Roland Barbier. Ce serait faux, bien sûr. Le père Noël ne bosse pas 12 mois par année.