Quelques jours après que quelques dizaines de tonnes de béton soient tombées sur la chaussée de l'autoroute Ville-Marie, le ministre des Transports Sam Hamad a tenu un point de presse plutôt mouvementé. Je l'ai alors interpellé à propos d'un litige qui perdure entre les médias et son ministère: va-t-il enfin rendre publics les rapports d'inspection des viaducs, échangeurs et ponts du Québec?

Sa réponse : oui.

On attend encore.

Vendredi dernier, Sam Hamad a fait un point de presse à propos de la réouverture du pont Mercier. Les journalistes lui ont demandé s'il allait rendre publics les rapports d'inspection du pont Mercier - fermé d'urgence cet été - réalisés par la firme de génie Dessau en 2008 et 2011.

La réponse de Sam Hamad : oui.

Sauf qu'on dirait bien que ce « oui » ne s'est pas rendu jusqu'aux oreilles du personnel politique de Sam Hamad. En effet, tout de suite après la conférence de presse, la journaliste Linda Gyulai, de la Gazette, s'est fait dire le contraire par un « conseiller politique » de Sam Hamad.

L'échange rapporté par Mme Gyulai dans son journal, samedi, est absurde et surréaliste. D'abord, le « conseiller politique » a refusé de s'identifier. Vous avez bien lu : un membre du personnel politique d'un ministre du gouvernement du Québec, qui parle en toute connaissance de cause à une journaliste, refuse de dévoiler son nom !

L'anonyme conseiller de Sam Hamad lui a d'abord rappelé qu'elle n'est pas ingénieure et qu'elle ne comprendrait pas les conclusions d'un rapport d'ingénieur. Pour mémoire, Sam Hamad a servi la même réponse à un autre journaliste de The Gazette, l'été dernier.

L'adjoint de Sam Hamad a ensuite reproché à la journaliste de nuire aux ingénieurs du gouvernement du Québec, en exigeant la publication de ces rapports! Il lui a dit, c'est écrit noir sur blanc dans l'article de Linda Gyulai : « Est-ce que vous questionnez les ingénieurs de Québec?

On nage ici dans un délire complet. Le ministre des Transports du Québec promet publiquement de dévoiler des rapports sur la sécurité d'un ouvrage majeur. Et un adjoint non identifié et non identifiable passe derrière le ministre pour dire le contraire !

On savait déjà que les firmes de génie privées en mènent très, très large au sein du ministère des Transports. On sait désormais que son personnel politique se permet de faire mentir le ministre! Question : qui faut-il croire, au cabinet du ministre? Sam Hamad ou ses adjoints anonymes?

Au-delà du manque de contrôle de M. Hamad sur ses adjoints fantasques, se pose ici la question plus large de ce que les Québécois ont le droit de savoir au sujet de l'état de santé des ponts, des viaducs et des échangeurs de la province. Ou, plutôt, de ce qu'ils n'ont pas le droit de savoir.

Ces ouvrages ont été financés par les Québécois, ils sont utilisés par les Québécois. Les rapports d'inspection rédigés par les firmes de génie sur ces ouvrages sont également payés par les Québécois.

Mais les Québécois n'ont pas le droit de savoir l'état de santé réel de ces infrastructures ! Pas de vos affaires.

En plus de jouer à la cachette avec les Québécois qui paient leur salaire, le ministre Hamad et ses adjoints anonymes semblent les prendre pour des idiots. En effet, cela fait deux fois, cet été, qu'ils prétextent qu'à défaut d'être ingénieur, on ne peut pas comprendre le rapport d'inspection d'une infrastructure routière.

Le hic, c'est que cette excuse ne tient pas la route (oups, trop facile...).

Primo, les journalistes vont faire leur job, une fois ces rapports publiés : ils vont demander à des experts de les mettre en contexte si c'est trop compliqué.

Deuzio, les deux rapports d'inspection rendus publics cet été, sur la santé du pont Champlain et sur celle du tunnel Ville-Marie, tous deux rédigés par des ingénieurs, étaient parfaitement compréhensibles même pour les Québécois qui n'ont pas l'immense privilège d'être diplômés de Polytechnique. Ils étaient même parfaitement inquiétants.

Ma théorie: si M. Hamad et ses adjoints anonymes gardent ces rapports secrets, c'est parce qu'ils ont peur de la réaction des Québécois, quand ceux-ci sauront. Et quand on lit le rapport sur l'autoroute Ville-Marie dont parle André Noël (page A8), on peut les comprendre.