Après huit ans de crétinisme sous Bush, Barack Obama est arrivé à la Maison-Blanche, porté par un vent de renouveau. Les progressistes, même les non-Américains, pouvaient respirer enfin. Le bon sens était de retour au pouvoir de la plus grande démocratie américaine.

C'était un leurre.

D'abord, l'«audace de l'espoir» d'Obama, c'était un slogan. Un slogan comme un autre, pour gagner une élection comme une autre.

Ensuite, la grande démocratie américaine n'en est plus une. La grande démocratie américaine est en fait une ploutocratie, qui sert d'abord et avant tout ceux qui ont du fric pour faire élire des candidats et pour influer sur les décisions publiques.

Savez-vous combien d'argent a été dépensé, à l'automne 2010, pour faire élire des candidats des partis républicain et démocrate au Congrès?

Quatre milliards de dollars!

Quatre milliards de dollars, ça ne se collecte pas avec des cartes de membre à 25$. Ça se collecte en gros, auprès de donateurs privés, de groupes d'intérêt et d'entreprises. Aux États-Unis, particuliers et entreprises peuvent dépenser sans limite, souvent sans dévoiler à qui ils donnent, au nom de la liberté d'expression.

Le système démocratique américain est financé par les riches. Pensez-vous vraiment que ce système-là peut accoucher de lois qui empêchent les abus des génies de la haute finance? De règlements qui donnent aux travailleurs un rapport de force minimal avec les employeurs? De taxes et d'impôts comparables à ceux d'autres pays industrialisés, afin de financer adéquatement tout ce qui fait une société: soins de santé, éducation, routes, remparts environnementaux?

Évidemment non.

Le journaliste Bill Moyers, légende de PBS, dont un discours à la Boston University l'an dernier teinte cette chronique, pourfend sans relâche la ploutocratie américaine. Sa question rhétorique: «Pourquoi le gouvernement ne travaille-t-il pas pour les gens? Parce qu'il a été acheté.» Lumineux.

Obama est impuissant, mais j'aurais au moins voulu le voir se battre, dans ses «négociations» avec les républicains. Il ne s'est pas battu. Il a mis un genou par terre. Il a abdiqué. Il n'a même pas tenté d'invoquer une clause obscure du 14e amendement de la Constitution pour élever unilatéralement le plafond de la dette, comme le lui suggérait l'ancien président Clinton. Il n'a même pas laissé planer la menace d'agir seul!

Bref, à quoi ça sert d'avoir un «progressiste» à la Maison-Blanche quand il se laisse terroriser par un parti au service de Big Business?

Au milieu du désastre financier post-décote qui pourrait produire encore plus de pauvres, ce qui est absolument sidérant reste la docilité du public américain, qui se fait fourrer par ses élus, par ce système au service du fric.

Où est la grogne?

Où sont les émeutes?

Il n'y en a pas. Il n'y en aura pas. Parce que ce pays a convaincu les pauvres que, s'ils sont pauvres, c'est uniquement leur faute. Kurt Vonnegut, dans Abattoir 5: «Les États-Unis forment la nation la plus riche sur terre, mais son peuple est pauvre, et les pauvres sont poussés à se détester [...]. Ce blâme intime est un trésor pour les riches et puissants, qui n'ont jamais eu si peu à faire, publiquement et privément, pour les pauvres...»

Donc, il fallait être naïf au cube pour penser qu'un nouveau président à l'histoire personnelle inspirante, un progressiste jeune, beau et éloquent, allait pouvoir se battre contre le système. Pour les gens, pour le peuple.

Le président des États-Unis ne peut rien contre ce système lubrifié à l'argent depuis si longtemps. Lui aussi, il doit financer sa campagne de 2012. Tenez, Obama a transformé son 50e anniversaire en soirée-bénéfice, à Chicago. Prix de certains billets: 38 500$US. Qui peut se payer ça? Parmi les milliers d'Américains au chômage, personne.