Médicalement, je n'ai rien à redire. Mon mal a été soulagé (ah, la morphine!) et diagnostiqué: je sais désormais que c'est une coquine de 4 mm de diamètre qui, depuis deux mois, m'envoyait au petit coin plus souvent qu'un monsieur de 85 ans. Pierre au rein.

C'est le reste qui m'a irrité. Je parle d'un léger manque de sollicitude.

La chemise d'hôpital, premièrement. Ça va vous étonner, mais c'est difficile à attacher. Surtout quand on a mal. Et qu'on est dans les vapes (ah, la morphine!). Ça s'attache dans le dos. Je n'ai pas d'yeux derrière la tête, malheureusement.

Donc, le patient moyen a besoin de l'aide du personnel pour enfiler sa chemise. Que cela soit dit. Que cela soit su.

Je l'ai fait savoir au technicien de la salle des scanners, qui m'a demandé d'enfiler une chemise avant de m'insérer dans le beigne magique auquel rien n'échappe. Quand je lui ai dit que j'avais besoin d'aide pour attacher la chemise, j'ai senti, dans la brusquerie avec laquelle il a noué les cordons, qu'il avait très hâte de retourner parler de bois franc avec son confrère.

Deuxièmement, je sais bien que c'est le propre de patients aux urgences de râler et de se plaindre et d'appeler les préposés et les infirmières. Je sais. Peut-être que certains d'entre nous sont de petites natures. Dans mon cas, pierre au rein oblige, j'avais très, très, très envie de... pisser.

J'ai donc appelé à l'aide. Encore. Et encore. Pas de réponse. J'ai appuyé sur le petit bouton d'urgence. Pas de réponse.

C'est pourquoi j'ai pissé dans la poubelle de la petite pièce où je me trouvais, faite de rideaux de toile. Trois fois. Désolé. Ça pressait.

***

On a fini par me mettre dans un couloir, une fois ma douleur (presque) partie. J'étais encore, cependant, sous l'effet de la morphine (ah, la morphine!) et, ceci expliquant cela, modérément alerte.

Encore envie de pisser. Cette fois, je savais où était le petit coin et j'étais en état de m'y traîner. Je fais donc ce que j'ai à faire et, en me relevant, je note que la moitié de la partie inférieure de ma chemise d'hôpital est mouillée. Elle a trempé dans la cuvette. En me regardant dans le miroir, je vois que la chemise a été attachée tout croche.

J'appuie sur le bouton panique. Cette fois, on vient. Un préposé à la mine patibulaire se pointe. Je lui explique que j'ai besoin d'une autre chemise. Il s'en va sans rien dire, avec un air bovin. J'attends. Il finit par revenir et me mettre une chemise dans les mains. Ne-non, que je lui dis: s'il vous plaît, donnez-moi un coup de main. Ce qu'il fait, avec un soupir. Pour découvrir qu'il manque un cordon. Nouveau soupir, plus appuyé.

Il promet de revenir.

Il ne revient pas.

Au bout de cinq minutes, je retourne à mon lit, bobettes à découvert, chemise à moitié attachée, mais ma dignité n'est qu'une préoccupation distante (ah, la morphine!).

Je vais mieux. Je vais beaucoup mieux. J'ai très faim. Pas dîné, il est 18h. Justement, voici la dame avec son chariot rempli de succulents mets de cafétéria. Je lui fais des signes, elle est là, à quatre mètres de moi. Elle ne me voit pas. Être parano, je dirais qu'elle fait exprès de ne pas voir tout patient susceptible de perturber sa routine: elle fixe le sol avec l'intensité de Mohamed Ali dans ce ring zaïrois.

Je dois donc la talonner, bobettes à l'air, en traînant mon pied à soluté, pour quémander un repas. Je finis par revenir vers mon lit, le plateau dans une main, le pied dans l'autre. Heureusement que je ne m'étais pas fracturé le fémur...

***

J'insiste. Il n'y a pas de scandale, ici. J'ai été bien soigné.

Je parlais de manque de sollicitude. Peut-être que j'en demande trop, peut-être qu'espérer une «attention soutenue, à la fois soucieuse et affectueuse», selon la définition du Petit Robert, relève de la science-fiction dans les urgences surchargées d'un hôpital québécois.

Mais j'aurais aimé, au minimum, ne pas me sentir comme un prisonnier de guerre. Par bouts, on aurait dit que j'étais gardé en captivité par les soldats d'une nation étrangère plus ou moins au fait de la convention de Genève. Juste ce qu'il faut de brusquerie pour éviter que vous vous sentiez à l'aise...

Un médecin a fini par me dire que je pouvais partir. Il m'a signé une ordonnance, j'ai voulu poser une question, il m'a quasiment coupé la parole en me disant d'appeler mon urologue. Comme les prisonniers de guerre, j'étais libéré sans trop savoir pourquoi.

J'ai enlevé ma chemise d'hôpital, ramassé mes affaires, mis mes gougounes et commencé à faire quelques pas. Soudain, une voix:

«HEY!»

Je me retourne. Le préposé me tance:

«VOTRE BRACELET! Vous pouvez PAS partir avec votre bracelet d'hôpital, MONSIEUR!»

Oui, le préposé qui devait m'apporter une chemise aux cordons intacts.

Je ne l'ai pas envoyé promener (ah, la morphine!).