Je sais ce que vous dites depuis mardi matin. Pourquoi n'ont-ils pas tiré dans une jambe? Pourquoi quatre policiers armés de fusils Walter P99 ont-ils tiré trois balles pour maîtriser un type armé d'un vulgaire couteau? Pourquoi deux morts?

Pour répondre à cette question, il faut se mettre dans la tête de ces quatre policiers qui, mardi matin, sont appelés rue Sainte-Catherine parce que Mario Hamel, dans son délire, s'en prend à des sacs-poubelles.

Les poubelles, ils s'en sacrent. C'est le couteau qui les inquiète.

Et le fait que «Mario» - ils l'appellent par son nom -, agité, n'obéit pas.

Qu'il a menacé quelqu'un avant leur arrivée.

Ce n'est rien d'exceptionnel. Ils travaillent au centre-ville. Des «MM», des malades mentaux qui disjonctent, même avec un couteau, ils ont déjà vu ça. C'est stressant, mais c'est gérable; 99 fois sur 100, le type finit par lâcher son arme, se coucher, se laisser menotter. Vous n'en entendez pas parler. Personne ne meurt.

Mario Hamel marche donc rue Sainte-Catherine. Les flics le suivent. Lui parlent. Lui ordonnent de lâcher son couteau. «Mario» n'obéit pas. En le suivant, c'est sûr, les quatre agents ont deux craintes.

Primo, que Mario Hamel s'attaque à un passant.

Deuzio, que Mario Hamel s'attaque à eux.

«Mario, crisse, lâche ton couteau!»

Mais Hamel n'écoute pas.

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Dans un film américain, Bruce Willis aurait pris la situation en main. Hop, une prise de judo. Hop, une balle dans la jambe. Mais nous ne sommes pas dans un film américain. Nous sommes dans la vraie vie, dans une grande ville nord-américaine.

Le flic nord-américain ne tirera pas une balle dans la jambe de Mario Hamel, en ce mardi matin. Il n'est pas entraîné pour cela. Il est entraîné à tirer au milieu du corps. Il est entraîné à tirer pour tuer.

Le flic nord-américain ne va pas non plus se lancer dans une bagarre au corps à corps avec un type armé d'un couteau. Il sait ce que vous ne savez pas: ce putain de couteau est une arme mortelle.

Le flic nord-américain, qu'il soit formé à Quantico (Virginie) ou à Nicolet (Québec), connaît par coeur le Tueller Drill, du nom d'un policier-formateur américain, Dennis Tueller, père de la règle des 21 pieds qui est enseignée à tous les policiers du continent depuis les années 80 dans les cas de suspects armés de couteaux.

La règle est simple: 21 pieds, ça se franchit en 1,5 seconde par un individu en forme et motivé. Et 1,5 seconde, c'est le temps qu'il faut au policier moyen pour dégainer son arme, pointer (sans viser) et tirer un coup.

Traduction: le flic nord-américain sait que ce type peut fort bien le poignarder avant qu'il n'ait le temps de l'abattre.

Et s'il est vraiment curieux, le flic nord-américain connaît cette statistique citée dans les revues scientifiques consacrées au travail policier: 45% des coups de couteau sont mortels.

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L'enquête de la Sûreté du Québec, qui peut se baser semble-t-il sur de la preuve vidéo tirée d'une caméra de surveillance, déterminera ce qui a provoqué les tirs des policiers.

Mais si Mario Hamel, armé de son couteau, s'est soudainement mis en direction des policiers, ceux-ci ont eu, chacun de leur côté, une réaction instinctive métabolisée par des heures d'entraînement. Ils ont tiré.

Mario Hamel n'a pas couru après sa mort. Il était malade. Il n'avait probablement pas conscience de ses actes.

Patrick Limoges, lui, est mort, tué par la balle d'un policier qui a eu le malheur de rater un suspect armé d'un couteau, suspect que ce flic voulait empêcher de tuer ou de blesser quelqu'un. Quelqu'un comme M. Limoges. Sa mort est absurde.

Cette affaire est une authentique tragédie.

Et c'est dénaturer cette tragédie que de parler, stupidement à ce stade, de «bavure» de la police.