Dans ce feu roulant qu'est la vie moderne, on peut aisément en arriver à penser que notre petite existence est le centre de l'univers. En orbite autour de soi: l'anniversaire du plus vieux, une réunion à préparer avec le patron, les bouchons de circulation du maire Ferrandez, le toit de la maison qu'il faudrait bien penser à changer. Et, bien sûr, la question capitale: quand les Nordiques reviendront-ils à Québec?

Au milieu de ce tourbillon, qui se demande comment vivent les hommes (et leurs femmes, et leurs enfants) ailleurs dans le monde?

Qui se demande comment se passe le quotidien de la ménagère des îles Fidji, de l'agriculteur haïtien, de la famille zimbabwéenne?

C'est ce que je pensais. Moi non plus.

Hélène Tremblay ne le savait pas plus que vous et moi. Cette Abitibienne devenue publicitaire parisienne en 1981 était fascinée par l'idée de découvrir le quotidien de ses semblables, les humains, tel qu'ils le vivent un peu partout sur terre. C'est une question qui vous a peut-être traversé l'esprit, qui sait, avant d'être prestement balayée par le cri de votre enfant qui, en arrivant au terrain de soccer, réalise qu'il a oublié ses souliers à crampons dans le vestibule de la maison...

Dans la tête d'Hélène Tremblay, le quotidien de ses semblables n'a pour ainsi dire jamais été balayé. Il était là, indélogeable. Alors Hélène a décidé d'agir: elle est partie à la rencontre de la planète. De 1983 à 2006, elle a visité plus de 116 pays dans une aventure qui a fait d'elle une sorte d'hybride entre un Claude Lévi-Strauss amateur et un Tintin sans journal ni Milou.

«J'ai décidé de présenter l'humanité à l'humanité», me dit-elle en entrevue, entre une conférence en Ontario et une rencontre avec une télévision pour vendre une série basée sur ses rencontres.

Partout, Hélène Tremblay cherchait LA famille qui pourrait incarner le pays, en se fiant à certains indicateurs de revenus, de nombre d'enfants, de métier. «J'ai donné de la vie aux statistiques.»

Pendant 23 ans, donc, elle a arpenté la planète, du Pacifique aux Antilles, un travail colossal de recherche, d'observation et de rédaction qui a abouti à la publication de cinq livres (1). Hélène Tremblay vit désormais au Québec, où elle prépare sur ses découvertes des conférences qu'elle donne dans les universités et les entreprises.

Comment finance-t-on 23 ans de voyages dans 116 pays? Au début, on emprunte. Ensuite, on se débrouille en mettant à contribution diverses agences de l'ONU (UNICEF, UNFPA), des agences gouvernementales d'ici (Agence canadienne de développement international) et d'ailleurs (Communauté économique européenne) ainsi que des fondations privées (celle de Samuel et Saidye Bronfman, celle de Paul-Émile Léger).

C'est Haïti qui l'a le plus chamboulée. À cause de la faim. Chez les Barthélémy, à La Brousse, le repas consistait en un épi de maïs. Pour sept personnes. C'est au Brésil, à cause de l'écart hallucinant entre riches et pauvres, qu'Hélène Tremblay dit avoir vu le visage de l'injustice. En Palestine, à Hébron, elle a trouvé les gens les plus malheureux. À cause du mur, surtout.

Voyager comme Hélène Tremblay l'a fait, ça change une vision du monde. Et ça change la vision qu'on peut avoir de sa propre tribu. Sur le Québec, la globe-trotter note ceci: «Les relations hommes-femmes, au Québec, ne sont pas exemplaires, mais presque, dit-elle. Ici, les hommes et les femmes se parlent, discutent, débattent. C'est loin d'être le cas partout.»

On a tous notre idée de ce qui compose le bonheur individuel. Mais qu'en est-il du bonheur des nations? Je me suis dit qu'Hélène Tremblay, qui possède autant de tampons dans son passeport que mon fils possède d'autos du film Cars, devait avoir une réponse toute faite, un peu comme son «J'ai décidé de présenter l'humanité à l'humanité», qu'on retrouve dans tous les papiers qui lui sont consacrés...

Mais non. Elle a longuement réfléchi à la question, me relançant même après l'entrevue, pour développer. Et je suis heureux de vous donner ici, en exclusivité, le secret du bonheur des nations.

1. Avoir suffisamment à manger.

2. Vivre sans trop craindre les violences, celles du crime et de la guerre.

3. Ne pas être enchaîné aux désirs: ne pas trop être dans le «Je veux ça, ça, ça et ça...»

4. La tolérance envers les différences.

Existe-t-il des pays qui peuvent se vanter de réunir ces quatre ingrédients de la recette du bonheur national? Oui, dit Hélène Tremblay: les pays des îles du Pacifique, comme les îles Fidji, par exemple.

Je vous signale qu'il n'y a pas, aux îles Fidji, d'amphithéâtre multifonctionnel susceptible d'intéresser Gary Bettman. Je me demande si on y change les sens uniques rien que pour emmerder les automobilistes. Peut-être même qu'il n'y a pas d'automobilistes, là-bas, je ne sais pas trop et je n'ai surtout pas le temps d'y penser: l'héritier cherche ses souliers à crampons...

(1) Son plus récent, publié l'an dernier: Voyage au coeur de l'humanité, www.fdmfow.org.