Bien sûr qu'il faut que les détails soient publiés. C'est l'essence d'une justice publique. Malgré l'horreur de ces détails. Qu'importe: dans le procès de Guy Turcotte, ce médecin qui a tué ses deux enfants, je me sens de trop. J'ai envie de quitter la pièce.

Trop personnel.

Trop sordide.

Évidemment, il n'y a pas de pièce à quitter. Alors je change de poste quand je suis en auto et que la radio en parle. Je ne lis les papiers qu'en diagonale.

Remarquez, il y a deux ans, j'ai eu droit à une répétition générale privée de ce qui s'étale ces jours-ci sur la place publique. Une collègue et moi avions entrepris de vérifier des détails entourant le meurtre d'Olivier et d'Anne-Sophie. L'idée était de reconstituer les derniers jours avant le crime.

L'entraîneur privé devenu amant d'Isabelle Gaston ; les courriels compromettants ; l'appel troublant de Turcotte à ses parents le vendredi fatidique ; la relation tumultueuse des conjoints ; les enfants qui avaient des blessures aux bras, signe qu'ils s'étaient défendus et qu'ils avaient su, pendant au moins un instant...

Nous avions entendu ces choses.

Puis, après moult débats et tergiversations, nous avions décidé de ne rien écrire. Il manquait des confirmations. Il y avait moyen d'écrire quelque chose avec ce que nous avions. Nous ne l'avons pas fait. Je me souviens d'avoir été soulagé.

Trop personnel.

Trop sordide.

Trop.Et voilà que tout cela sort au procès. Et je me sens de trop. Vous savez, comme au resto, quand le couple de la table d'à côté se chicane et que vous essayez de manger votre lasagne en faisant semblant de rien ?

Comme ça.

Je lis en diagonale les papiers à propos du procès Turcotte. C'est une histoire d'horreur. J'aime penser qu'au fond de nous, même dans les recoins les plus sombres de notre âme, il y a une sorte de digue qui protège nos enfants contre le tsunami de folie qui peut nous submerger, parfois.

Une digue qui fait que les petits garçons qui dormaient pourtant à poings fermés n'ont jamais à crier «Non, papa! Non, papa!». Mais Turcotte est la preuve que, chez certains, cette digue n'est pas aussi solide qu'elle devrait l'être.

Une histoire d'horreur, donc. Mais -et ça aussi, c'est horrible à dire- une histoire d'amour. Pas le meurtre des enfants, qui n'a rien à voir avec l'amour et tout à voir avec un narcissisme format géant.

On sait tous comment ça marche, tomber en amour. On a l'exemple des autres, on a les chansons, les livres, les films... Mais comment finir l'amour? Ça, on ne sait pas. En librairie, il y a mille livres de psycho-pop qui vous expliquent que les gars viennent de Mars et les filles de Vénus, qui proposent les sept étapes pour trouver l'âme soeur.

Mais aucun best-seller ne donne le mode d'emploi pour clore l'amour. Même si ça fait mal. Même si ça hurle en dedans. Même si l'autre vous a largué comme un gobelet de café Tim Horton's.

Je lis les papiers à propos du procès de Turcotte. À la base, une histoire d'amour banale. Une histoire qui tourne mal: l'amant, les courriels coquins, les baises illicites...

La trahison, encore là banale, d'un couple qui agonise. Une histoire universelle qui se déroule en ce moment, dans un bungalow près de chez vous. Et qui ne se terminera pas dans le sang grâce à cette digue qui nous empêche de vraiment devenir fou. Au pire, il y a une claque sur la gueule. Au mieux, des engueulades. Mais dans la plupart des cas, le hurlement, en dedans, finit par s'estomper.

Je lis les papiers à propos du procès Turcotte. Je me remémore ces conversations d'il y a deux ans dont je vous ai parlé, pour cet article que nous n'avons jamais écrit.

J'aurais un tas de choses à dire à propos de Guy Turcotte. Je me retiens: la justice est desservie si on se met à dire des saletés. Le jury fait son travail. Espérons que son verdict sera juste.

Mais quant à Isabelle Gaston, pas de réserve. Voici une femme dont les enfants ont été tués de sang-froid. Elle a entendu tous les insupportables détails de ce meurtre. Ce procès est la prolongation obligée de son calvaire de mère. On fait des manchettes avec des miettes de sa vie intime, produites en preuve. Au drame d'Isabelle Gaston, le côté public de la justice ajoute une petite couche d'indignité.

Mais elle est là. Elle a décidé de ne pas lâcher. La télé nous montre ses mèches blondes qui virevoltent sur son front quand elle entre dans la salle d'audience, la salle aux mille horreurs.

Dans ce cauchemar interminable décliné en feuilleton, vous êtes, docteure, tout à fait admirable.